Un bordeaux 2050, millésime de fiction ! Pourtant, il a été possible de le déguster, un soir d’avril 2018 (pas le 1er) au Musée du vin à Paris. Un millésime du futur qui pose cependant quelques problèmes ! Première question : alors ce vin, est-ce encore du Bordeaux, si oui, faudrait-il alors le désalcooliser… ? Première constatation (ouf !), il est buvable et plutôt flatteur en première bouche. Le titrage est modéré, 13,5°, surprenant ! A l’aveugle, j’aurais dit un Languedoc, mais basique… Quelques notes de fruits rouges en arrière, des tanins qui sont très prononcés à la dégustation, très durs, verts, beaucoup d’astringence et une note finale assez difficile, un peu asséchante en dit Monique Josse, une bordelaise experte en vin qui supervise la dégustation. Bref, ça ne sent pas le terroir bordelais !
Le jour où Bordeaux sera Tolède
Il faut aujourd’hui peu d’imagination pour se transposer trente ans dans le futur sachant qu’on connaît déjà des vendanges de plus en plus précoces (1° C de variation par rapport à la normale mai-août correspond à 10 jours de décalage dans la date des vendanges).
Supposons qu’on est en 2050. La frontière septentrionale du vin actuelle, Champagne, Allemagne, Luxembourg… n’existe plus. La vigne qui depuis longtemps a envahi le sud-est de l’Angleterre s’étale maintenant de la Bretagne jusqu’à la Pologne, la Suède… On fait même du vin au Québec. Bordeaux jouit alors d’un climat proche de celui du Tolède*. C’est la fourchette haute des prévisions de réchauffement climatique. Pour preuve, il est prévu que d’ici à 70 ans, les vignes pourraient se déplacer jusqu’à 1000 km au nord de leur limite traditionnelle. Le climat tel qu’il sévit à Tolède est d’ailleurs l’hypothèse de départ de cette expérimentation. Ainsi, Bordeaux devrait avoir gagné 2 degrés en 2050, une prévision réaliste puisqu’en Nouvelle-Aquitaine on frôle déjà aujourd’hui le seuil de + 1,5 °. Et puis, plus au nord, il fera 40° à Paris au mois d’août 2050 et 42° à Lyon.
*Mais quel sera alors le destin climatique et viticole de Tolède dont le vignoble (région autonome de Castilla-La Mancha) est le premier d’
Merlot et cabernet sauvignon, seront-ils encore bordelais en 2050 ?
Pour l’expérimentation, ont été choisis 2 cépages typiquement bordelais, le merlot et le cabernet sauvignon* afin de les plonger dans un climat plus chaud, plus sec, avec un cycle végétatif plus court (en l’occurrence, les climats du Languedoc-Roussillon et de la Tunisie). Evidemment ces 2 cépages face à un tel changement se sont dotés de profils analytiques et surtout organoleptiques bien différents de ceux qu’on connaît aujourd’hui à Bordeaux avec des vins réputés pour la fraîcheur de leurs arômes (fruits noirs et rouges), leur acidité rafraîchissante, leurs tannins bien tendus et leur grande finesse.
* Une question presque existentielle, le merlot, premier cépage bordelais à la maturation précoce, sera-t-il capable de résister à ce drastique changement climatique ? On en doute.
Le Bordeaux 2050 à la George Orwell
Pascal Chatonnet, chercheur, oenologue et fondateur du laboratoire Excell, à l’initiative de ce projet* a donc créé (élaboré !) un Bordeaux 2050 (400 bouteilles, ce n’est pas la mer à boire !) comme un vin d’anticipation ; Big Brother pendra-t-il les traits du changement climatique imposant aux hommes des pratiques agriculturales et viticoles tyranniques ! A déguster « cet avant-goût du réchauffement climatique », voici ce qu’en dit son créateur : une expression éventuellement plus dense mais surtout plus épaisse. C’est-à-dire moins fine, moins élégante, une finale tannique un peu sèche, avec une acidité souvent plus faible et une « sucrosité » plus importante, une couleur assez intense mais plus évoluée, des arômes de fruits très mûrs, un peu cuits presque secs ou oxydatifs, une capacité au vieillissement certainement réduite en raison d’une évolution déjà importante.
*Défi en fait lancé à Pascal Chatonnet par l’Association des journalistes de l’environnement (AJE).
2050 à Bordeaux, le règne du touriga nacional portugais ou du mourvèdre ?
De toute évidence, les cépages bordelais devront s’adapter aux nouvelles normes climatiques ou disparaître. La science est déjà là pour aider la viticulture bordelaise à évoluer. C’est l’expérience qui est menée en plein terroir de Graves sur la commune de Villenave d’Ornon, sur la fameuse parcelle 52. Les chercheurs de l’Inra, de Bordeaux Sciences Agro et de l’Université de Bordeaux ont planté en 2009, 52 cépages, 2600 pieds de touriga nacional, d’alvarinho (tous les deux portugais), de mourvèdre (qui fait la réputation du Bandol mais d’origine espagnole), d’agiorgitiko (Grec), de saperavi (Georgie)…, des cépages qui n’ont rien de bordelais et dont on a poussé la maturation des baies pour voir le potentiel maximal d’accumulation en sucre. Ces parcelles ont commencé à être vinifiées. On est sur une méthode de vinification très classique avec une souche de levure utilisée en Bordelais pour rester sur le protocole similaire des viticulteurs. L’objectif est d’être en mesure de le comparer aux productions actuelles en dit Agnès Destrac-Irvine ingénieur à l’Inra-Bordeaux, co-responsable du projet Vitadapt. La conclusion semble couler de source. Certains cépages non bordelais pourraient s’intégrer très rapidement dans les assemblages. On parle d’une échéance à une, voire deux décennies. Ils apporterait aux vignobles girondins leur potentiels de résistance à la chaleur et à la sécheresse. Il en va de la survie des vins des Bordeaux à l’aube des années 2050.