Le vin, pas la guerre ! la vigne pas le cannabis ! la prospérité, pas le cataclysme économique que connaît le pays actuellement ! Serait-ce la promesse d’un Liban qui pourrait un jour, en paix et dans la prospérité, profiter de son immense potentiel viticole. Le pays du cèdre qui fêtait en 2020 ses 100 ans d’existence, est devenu aujourd’hui « le nouveau monde viticole ». Pourtant sa viticulture a plus de 6000 ans. Si quelques grands domaines : Kefraya, Ksara, Musar, Wardy, Marsyas, Khoury, Ixsir, Saint-Thomas sont connus internationalement, tant d’autres, plus petits sont à découvrir pour l’exceptionnelle qualité de leur production. Presque tous ont fait de la plaine de la Békaa, longtemps zone de conflit, le long de la frontière syrienne, l’un des plus beaux vignobles du monde. Enfin, sujet de fierté pour le vin libanais ! Dans la catégorie Vin Rosé, c’est un Ixsir Grande Réserve 2018 qui a été désigné comme meilleur rosé du monde 2021 à l’occasion du concours Best Wine of the World.
Le vin libanais face à un dollar qui a perdu 90 % de sa valeur
Si la dégringolade de la livre libanaise semble stoppée fin septembre 2021, il faut se rappeler qu’en 1997, elle avait été indexée au dollar sur la base d’un taux de 1 500 livres. Cette parité resta stable pendant plus de vingt ans. Mais aujourd’hui, elle a perdu 90 % de sa valeur face au dollar sur le marché noir. Fin 2020, l’inflation dépassait les 140 % et les prix des denrées alimentaires avaient déjà été multipliés par cinq depuis le début de la crise, selon les chiffres officiels. Enfin, le salaire minimum fixé à 675 000 livres, équivaut désormais à près de 68 dollars (58 €). A titre de comparaison, une bouteille de vin coûte aujourd’hui en moyenne au Liban, l’équivalent de 8 €. Mais si le marché national du vin s’est effondré, heureusement dans bien des domaines viticoles, les exportations sauvent l’activité sachant que l’explosion survenue au port de Beyrouth n’a pas touché les quais recevant les porte-conteneurs.
Liban, comment ne pas être admiratif ?
Au sommaire :
- I/Le vin au Liban : 6000 ans d’Histoire
- II/Le vignoble dans un état en guerre larvée
- III/Les incroyables atouts du vignoble libanais
- IV/La révolution des petits producteurs
- V/Quand le Liban redécouvre ses cépages oubliés
- VI/Ces grands domaines qui font le prestige du vignoble libanais
- VII/Les 3 grands : châteaux Musar, Kefraya et Ksara
- VIII/Liste des principaux producteurs de vins libanais
Le Liban si malmené mais qui produit des vins à la réputation mondiale
Faut-il le rappeler, le Liban a connu 15 ans de guerre civile (1975-1990) faisant plus de 200 000 victimes civiles. Il est encore et pour longtemps, l’otage du Hezbollah* (parti de dieu et bras armé de l’Iran). Il a fait face, en marge des révolutions arabes, à la crise syrienne et son afflux massif de réfugiés (peu enclin à rentrer chez eux dans un pays dévasté et divisé). Ils sont plus d’1 million pour une population de 6,4 millions dont 3 millions vivent à Beyrouth. Impossible aussi d’oublier cette guerre et son lot de morts et de destructions qui l’opposa à son voisin du sud, Israël en 2006 visant à entamer les capacités militaires du Hezbollah. Mais le pire était à venir : l’effondrement économique du Liban aggravée par la pandémie de coronavirus et l’explosion dévastatrice dans le port de Beyrouth en août 2020. Le pays est à genou. Selon la Banque mondiale, il s’agirait d’une des plus graves crises financières que le monde ait connu depuis le milieu du XIXe siècle. La classe moyenne, moteur de l’économie est en train de disparaître. Cette dégringolade générale est largement imputable à la corruption et à l’incompétence de l’élite politique, dominée depuis des décennies par les mêmes familles et les mêmes personnalités. On estime que plus de la moitié des Libanais vivent en dessous du seuil de pauvreté national dû à la chute vertigineuse du pouvoir d’achat. La rentrée scolaire 2021 est sans cesse retardée manque de moyens. Alors, quel miracle faut-il à ce pays pour survivre, lui qui se trouvait déjà confronté depuis sa création (il y a plus d’un siècle, en 1920), à une cohabitation entre maronites (chrétiens), musulmans, sunnites, chiites, alaouites et druzes ? Eh bien ce pays-là, produit encore de l’excellence, des vins qui ont la réputation d’être parmi les meilleurs du monde. Normal, dans un pays qui dit-on est aussi riche en confessions religieuses qu’en terroirs !
* Baalbek, au centre de la plaine de la Békaa (région viticole la plus réputée du Liban) avec son temple romain construit au milieu du IIe siècle après J.-C dédié à Bacchus (dieu de la vigne et du vin), est le siège du Hezbollah, le deuxième employeur à l’échelle nationale, après l’armée, et le premier pourvoyeur d’aide sociale du pays. Le Parlement libanais accordait le 20 septembre dernier, sa confiance au nouveau gouvernement dirigé par le premier ministre Najib Mikati. Un accord tacite conclu avec les Hezbollahs !

Le Liban sait fêter le vin depuis des millénaires
La vigne est sans doute aujourd’hui un facteur pour une certaine résilience dans un pays si souvent meurtri par les guerres et les crises économiques. Et quel meilleur antidote à tous les conflits que le souvenir de ces Soirées du vin comme celle de Dhour el Choueir (Mont Liban), les nombreux festivals autour du vin, le souvenir également des grandes fêtes (les Dionysalies) de la vigne et du vin qu’organisait avant sa disparition, Michel de Bustros dans le parc de son Château Kefraya. Chaque année se tenait le festival du vin Vinifest, grand salon du vin libanais. La dernière édition, la onzième, eut lieu en octobre 2018 à l’hippodrome de Beyrouth avec la Suisse en invité d’honneur. Beau pied de nez à l’histoire quand on sait que le Liban fut longtemps décrit comme la Suisse du Moyen Orient !
I/ Le vin au Liban : 6000 ans d’Histoire
Aux chrétiens, le soin de la vigne et du vin
Sur cette rive orientale de la Méditerranée, le Liban, de djebel Liban, la montagne blanche est l’héritier de la célèbre Phénicie, 4500 ans avant J.-C. Cette région fut en effet l’une des premières à produire du vin, une tradition qui remonte à 6000 ans : les fameux vins d’Helbon, et notamment le chalybon (sans doute un vin blanc cuit), le vin préféré des rois de Perse. Il était alors expédié par les Phéniciens à partir des ports de Tyr, de Sidon et de Byblos jusqu’à Cadix à bord de solides bateaux à la coque de cèdre (l’alphabet qu’ils inventèrent permit de retrouver la trace de leurs diverses transactions). La conquête de cette région par les musulmans dès le VIe siècle (d’abord arabes, puis les ottomans), mit fin à la production de vin pendant plus de mille ans à l’exception de quelques îlots de vignes entretenues par des moines maronites et orthodoxes pour les besoins du culte. La production de raisins servait alors essentiellement à la distillation du breuvage national, l’arak*. A la chute de l’Empire ottoman en 1917 qui coïncide avec le début des conflits au Moyen-Orient, le Liban se redécouvre une vocation viticole. Cette période suit les accords Sykes-Picot qui dépecèrent l’Empire Ottoman et le Proche-Orient en plusieurs zones d’influence. Ils mirent le Liban (et la Syrie) sous protectorat français ce qui aida au développement de la viticulture dans ces deux pays.
*L’arak, le lait des braves
C’est l’alcool typique du Liban, surnommé le lait des braves. Il est élaboré avec du vin à partir du cépage obeideh (obeidi) distillé puis coupé avec de l’anis vert frais (ou des graines d’anis) de Syrie. Après une seconde distillation, il est ensuite vieilli dans des jarres en argile. L’arak se rapproche de l’ouzo grec. Il accompagne les mezzés. L’arak est considéré aujourd’hui comme la boisson nationale du Liban, une boisson ethnique. S’il est fait maison (par des particuliers), on l’appelle l’arak baladi. L’arak libanais est devenu le premier alcool en termes de production depuis le déclenchement de la guerre en Syrie malgré qu’il soit peu à peu remplacé par les alcools occidentaux. On estime sa production annuelle à 2 millions de bouteilles (de 0,70 l). Mais attention ! Environ 80 % de l’arak sur le marché est produit à partir de betterave ou d’essence d’anis. Il n’existe en effet pas de législation claire et surtout pas de contrôle sur la qualité de l’arak produit au Liban.

Ces 3 châteaux historiques qui firent la réputation des vins libanais
Il faut attendre le XIXe siècle et les missionnaires venus d’Algérie pour jeter les bases au Liban d’une viticulture moderne. A leur actif, la fondation du château Ksara en 1857 par les Pères Jésuites. Doit-on rappeler qu’ils reçurent 25 ha pour leur vignoble, accordés par les Ottomans ! Puis vint la création du domaine des Tourelles en 1868 par Pierre Eugène Le Brun, un Français établi au Liban. Ce domaine situé dans la Békaa à Chtoura qui fut le premier au Liban à vinifier du vin rosé dès 1964, est également connu pour ses vieilles vignes de cinsault (de plus de 70 ans) qu’il fait revivre dans un 100 % cinsault étonnant ! Le domaine Wardy (longtemps connu pour son arak) bien que fondé en 1891, n’a planté ses premières vignes qu’en 1989. Son premier millésime date de 1997. Il possède aujourd’hui 65 ha situés dans la plaine de Békaa : Zahlé (dont la famille Wardy est issue), Kfarzabad, Bhoucha. A sa tête depuis 2009, Aziz Wardy, copropriétaire et gérant qui quitta la Finance en Australie pour reprendre le vignoble de ses ancêtres.

1857, fondation du château Ksara par les jésuites
Ksara est le plus ancien domaine viticole. Il a été créé en 1857 par les jésuites et son nom serait une traduction approximative de château franc. Sait-on qu’en 1902, deux événements se produisirent. Ce fut l’année de la création du premier observatoire du Moyen-Orient à Ksara afin que les jésuites puissent enregistrer les précipitations et l’activité sismique. Un vin commémore cette installation, Le Blanc de l’Observatoire (Millésime 2017 : obeideh 30 %, muscat 20 %, clairette 40 %, sauvignon 10 %). Le second événement fut plus tragique. C’est l’assassinat de dix jésuites entre Beyrouth et Zahlé ce qui entraîna la troisième République (à la demande de la Compagnie de Jésus), à intervenir en assurant un protectorat sur les 250 ha du domaine. Cette terre, finalement la France l’offrit à la communauté chrétienne du Liban. Ses 2 km de caves qui servirent de refuge aux réfractaires à la conscription ottomane en 1914 furent, elles aussi cédées par les jésuites lorsqu’ils sont obligés de vendre leur domaine en 1973 (à la demande du pape). Les vins des pères que l’on buvait avec révérence, ont été repris par Charles Ghostine et ses associés. Il engagea James Palgé, maître de chais du Château Prieuré-Lichine à Margaux qui osa l’impensable : faire cohabiter dans un même assemblage cabernet sauvignon et merlot, et treize cépages méridionaux, dont la syrah. Aujourd’hui, château Ksara a pour PDG Zafer Chaoui (voir plus bas).
1930, Château Musar, l’oeuvre d’un jeune homme de 20 ans
Si Gaston Hochar âgé de 20 ans fonde en 1930 château Musar après ses séjours à Bordeaux, l’incroyable qualité des vins qu’il produit est en partie due aux relations d’amitié qu’il lie avec le Major Ronald Barton du château bordelais Langoa-Barton alors en poste au Liban durant la Seconde guerre mondiale. Mais c’est Serge, fils aîné de Gaston, ayant étudié l’oenologie à Bordeaux (il fut l’élève d’Emile Peynaud) qui peaufina pendant 18 ans le vin rouge de Château Musar. Il obtint une reconnaissance internationale lors de la foire aux vins de Bristol en Angleterre en 1979, où la presse du vin et des critiques renommés, dont Michael Broadbent, le compara aux vins de Pomerol. En 1984, malgré la guerre, Serge Hochar était élu Homme de l’année par le magazine Decanter. Après son brusque décès, les rênes du château sont depuis 2015 aux mains de Ronald Hochar (le cadet) entouré de Gaston et Marc (les 2 fils de Serge) et de Ralph, le fils de Ronald (en charge du sud-est asiatique).

1950, Château Kefraya par Michel de Bustros, écrivain, amateur d’art et féru d’opéra
Michel de Bustros qui s’est éteint en 2016, à 87 ans, était à la tête du deuxième domaine viticole du pays. En 1946, il débutait la construction du château établi sur un tell, colline artificielle érigée par les romains des siècles auparavant afin de surveiller les mouvements de troupes. Les premières vignes (dans la plaine de la Bekaa-ouest) apparaissent en 1951. Mais il faut attendre 1979 et dans des conditions d’extrême difficulté en pleine guerre du Liban (1975-1990) pour que Château Kefraya commence à produire son propre vin, avec les raisins issus de son propre vignoble et vinifiés dans sa propre cave (Les Coteaux de Kefraya) ; des vins qui seront élaborés selon ses propres règles : le respect de l’environnement, des vignes non irriguée et refus de l’assemblage. Féru d’opéra, il va donner à certaines de ses bouteilles le nom de grands héroïnes de l’art lyrique, Aida, Madame Butterfly, Carmen et Dinorah. Très vite, premières médailles et reconnaissance internationale saluent son travail mais la consécration viendra en 1997. La prestigieuse revue The Wine Advocate lui attribue une notation de 91/100 à sa cuvée Comte de M 1996* avec une critique de Robert Parker intitulée : an amazing accomplishment in Lebanon. Il est vrai que La devise du domaine n’est autre que Sempre Ultra (toujours plus haut) en latin. Château Kefraya est aujourd’hui la propriété de trois familles, celle de Michel de Bustros, celle de Walid Joumblatt, chef historique de la communauté druze, et la famille Fattal.
*Comte de M 2012, dernier millésime (élevé en fûts de chêne français jusqu’à 24 mois) est noté 93 par Parker. Il est issu d’une sélection de parcelles de cabernet sauvignon (2/3) et de syrah (1/3) sur 9 ha culminant à 1100 m.

Après la guerre civile (1990), le renouveau du vignoble libanais
L’industrie vinicole locale, telle qu’on la connaît aujourd’hui, a vraiment explosé (!) au début des années 1990, après la guerre civile. Cinq domaines, Château Kefraya, Château Ksara, Château Musar, Château Nakad et le Domaine des Tourelles, rejoints par une demi-douzaine de nouveaux producteurs ont su imposer leurs vins sur le plan international. Parmi ces 50 ou 60 producteurs d’aujourd’hui, on assiste à une extraordinaire montée en qualité (redécouverte des cépages indigènes, généralisation de la culture en bio, innovation dans les techniques de vinification…). Ainsi nous viennent de la Békaa (Latourba et Batroun), les tous premiers vins effervescents du Liban. Ils sont produits notamment par le domaine viticole de Latourba* (avec sa cuvée Unique) ; également ce Frizzante en blanc (assemblage de 7 cépages) et rosé (cabernet sauvignon et syrah) du domaine Batroun Mountains de la famille Hark (Batroun, ville côtière à cinquante km au nord de Beyrouth et à 29 km au sud de Tripoli). L’innovation marque ces dernières années le vignoble libanais. Ainsi Château Kefraya prépare le premier vin libanais vinifié et élevé dans des amphores (comme jadis). On joue aussi sur le succès du cinsault, qui fait désormais partie du patrimoine du Liban au point que le Cinsault vieille vigne du Domaine des Tourelles a été sélectionnée parmi les 14 meilleurs cinsault du monde par le magazine Decanter. Si les vins libanais sont considérés comme chers, ne pas oublier que le Liban ne produit pas de bouteilles ni de bouchon, de sorte que tout doit être importé, ce qui entraîne une augmentation des coûts. En plus, les taxes sur les alcools sont ici, particulièrement élevées. Aujourd’hui, les visiteurs de plus en plus nombreux de la Békaa peuvent sans crainte explorer la beauté des vignobles et profiter de l’hospitalité viticole dans des salles de dégustation et des restaurants servant une cuisine libanaise moderne et traditionnelle.
* Le domaine viticole de Latourba s’étend sur plus de 45 ha de vignes nichées au bord du fleuve Litani (irriguant le centre de la Bekaa et le sud du Liban sur 140 km) à Saghbine, surplombant le barrage de Qaraoun. Il a été créé par Elie Chehwan. Son premier millésime date de 2014.

II/ Le vignoble dans un état en guerre larvée
La vigne plutôt que le cannabis et le pavot
Enfin, la page semble s’être tournée. Le succès des vins libanais à l’international fait que la grande majorité des cultivateurs notamment ceux de la région de Deir Al-Ahmar (nord de la plaine de la Bekaa, un secteur particulièrement déshérité), comme nombre de villageois de la Békaa ont choisi la vigne (syrah, tempranillo, cabernet sauvignon, sauvignon blanc, viognier…) plutôt que la culture du cannabis (une industrie qui faisait pourtant gagner des millions de dollars aux trafiquants mais très peu aux paysans). Aujourd’hui, la vigne rapporte plus et surtout évite de vivre dans l’illégalité et la peur. 250 cultivateurs se sont ainsi regroupés au sein de la coopérative des Coteaux d’Héliopolis (créée en 1999) faisant vivre 430 familles dans 11 villages et travailler ensemble musulmans et chrétiens. Elle exploite 250 ha, ayant fait le choix de l’alignement horizontal, pour améliorer la productivité des pieds de vigne. Fair Trade Lebanon et Terroirs du Liban achètent, une partie de la récolte pour produire Coteaux Les Cèdres le premier vin certifié à la fois Bio et Fairtrade au Liban et Moyen-Orient ; un vin qui est largement exporté à l’international.

Le plus beau vignoble du Moyen Orient au cœur des conflits
Mais faire du vin dans un pays dont la guerre semble endémique est un défi que le Liban relève chaque année, millésime après millésime. En 1996, les chars israéliens prenaient position dans les vignes du très réputé château Kefraya (une opération intitulée Les raisins de la colère !). Michel de Bustros, son propriétaire, écrivain, amateur d’art et féru d’opéra relate l’événement dans son livre Du haut d’une Bretèche : « occupé par la soldatesque israélienne Kefraya n’était plus Kefraya. Partout l’état de désolation était impressionnant. Ils incendièrent les vergers et les vignobles et pillèrent le château (…), détruisant sans aucun scrupule trente-deux ans de travail ». Aujourd’hui encore, que font les frères Saadé, Sandro et Karim (les fils de Johnny R. Saadé), au Château Marsyas, un domaine créé au milieu des années 2000 (avec l’aide du consultant Stéphane Derenoncourt) près du village de Kefraya, quand on est à 60 km de Beyrouth dans la plaine de la Békaa à la frontière de la Syrie. Combien de check-points sont à franchir lorsqu’il s’agit d’aller sur ses vignes ? Pour cela, il faut emprunter à ses risques la fameuse route Beyrouth-Damas qui par Zahlé, traverse en son milieu, la Békaa ou bien celle qui descend vers le sud, en direction plateau du Golan et d’Israël. Pourtant, cette année encore ils viennent de lancer les deux nouveaux millésimes B-Qā de Marsyas dont le nom est en l’honneur de la célèbre vallée (le Rouge 2015, un assemblage de cabernet sauvignon et de mourvèdre et le Blanc 2017, un chardonnay 100 %).


III/Les incroyables atouts du vignoble libanais
La plaine de la Békaa, près de 60 % du vignoble libanais
Le Liban, carrefour entre pays méditerranéens et pays de l’Orient arabe est un petit pays de 10 230 km2 à majorité montagneux possédant 210 km de côtes donnant sur la Méditerranée. Sa grande plaine d’altitude (on parle aussi de vallée), la Békaa qui jouit d’un climat continental sec, s’étend du nord au sud du pays, le long de la frontière syrienne. Elle débute à 900 m au-dessus du niveau de la mer avec de la vigne jusqu’à 1800 m d’altitude. Cette vaste cuvette prise entre deux montagnes, le mont Liban et l’Anti-Liban est depuis l’antiquité un grenier à céréales : à l’est, l’Anti-Liban (frontière naturelle avec la Syrie) et à l’ouest, le Mont Liban avec des vignes plantées sur la face ouest qui domine la zone côtière. Le Mont Liban est constitué des montagnes du Chouf dans sa partie sud et dans sa partie nord, des régions de Kfifan et Batroun, face à la mer. Après la plaine de la Békaa, cette partie nord est l’autre grand secteur viticole du Liban.

Des hivers froids et des étés caniculaires
Si aujourd’hui, près de 60 % du vignoble libanais se trouve dans la Békaa, (essentiellement dans sa partie occidentale et les collines au-dessus de Zahlé), sa situation géopolitique entre la Syrie et Israël en fait le cœur d’une zone de conflit. Et pourtant, la Békaa est un grand terroir pour la vigne. Son centre est bien plus au sud que n’importe quelle partie de l’Espagne ou de l’Italie mais jouit de conditions climatiques plutôt favorables avec des hivers froids et des étés chauds. Les alluvions accumulées précise-t-on au château Marsyas ont engendré un sous-sol calcaire compact, une roche-mère couverte par une pellicule de terre de 40 à 50 cm. Ce sol rouge (présence de fer) et des pierres blanches forment un sol argilo-calcaire favorable à la vigne dont les racines doivent puiser en profondeur à la recherche d’eau et d’éléments nutritifs. Autre avantage, la Békaa a sa propre nappe phréatique naturelle alimentée par la fonte des neiges sur les pentes des chaînes de montagnes (Mont Liban et Anti-Liban), de sorte que certains raisins mûrissent rarement avant le milieu et même la fin du mois de septembre.

La liberté de faire du vin à sa guise
Au Liban, pas de cahier des charges à respecter, totale liberté dans le choix des cépages. Nombre de producteurs ne produisent pas leur raisin. Ils l’achètent sans pour autant le mentionner sur l’étiquette. L’irrigation est généralisée (mais il faut forer de plus en plus profond pour trouver l’eau). Pas de système d’appellation et pourtant tous l’attendent. Il est donc possible au Liban aujourd’hui d’expérimenter, d’innover sans contrainte en donnant une véritable identité à ses vins. Le tout est alors de savoir gérer au mieux le stress hydrique, éviter les blocages de maturité et agir pour avoir un équilibre acidité/sucre satisfaisant. Dans cette région, il est courant qu’il pleuve et neige de mi-novembre à début avril suivi de 6 longs mois de sécheresse. S’attendre également à un climat extrême. Ainsi, en 2017, les températures sont descendues en hiver à -17 ° suivi d’un été caniculaire dépassant les 37 °. Aujourd’hui, si la production est petite à l’échelle mondiale, le Liban a pour lui d’avoir une très longue tradition viticole, de nombreux cépages autochtones et des terroirs incontestablement excellents allant de Batroun au Metn en passant par Zahlé dans la plaine de la Békaa.
Aujourd’hui, près d’une soixantaine de producteurs sur 3000 ha
Le Liban regroupe un vignoble d’environ 3000 ha (150 ha supplémentaires sont plantés chaque année) concentré à 60 % dans la plaine de la Békaa pour une production annuelle de 10 millions de bouteilles* (dont 50 % est exportée), à comparer avec Chypre qui produit 27 millions de bouteilles. Un rappel, en 2000, le vignoble libanais ne recensait qu’une poignée de producteurs pour près de 60 aujourd’hui (dont 70 % de petits producteurs) selon le dernier décompte de l’Union vinicole du Liban (Association des établissements vinicoles du Liban). L’équilibre est pourtant loin du compte puisque les deux plus importants producteurs du Liban (les châteaux Ksara et Kefraya) pèsent à eux seuls plus de la moitié de la production annuelle (2,5 millions de bouteilles pour Ksara et 1,5 million pour Kéfraya). Derrière viennent château Musar et le domaine Ixsir (600 000 bouteilles chacun). A noter que la plupart des producteurs s’ils possèdent des vignes doivent également acheter leur raisin pour suppléer à leur production (essentiellement dans la vallée de Békaa).
* La production libanaise se répartit à 68 % Rouge, 17 % Blanc, 14 % Rosé (+1 % moelleux et mousseux). Le Liban est aussi un producteur de raisins de table avec près de 25 000 ha de vignes.
Les montagnes, un atout pour la viticulture libanaise
Si pour la production de vin, le Liban se positionnerait trop au sud, les montagnes sont là pour compenser et apporter la fraîcheur nécessaire à la vigne. Donc, la préoccupation majeure est de chercher en altitude les bons terroirs sachant que le vignoble se concentre dans la partie centrale du pays à 900 m en moyenne d’altitude (dans la plaine de la Békaa, entre la chaine du Mont Liban et l’Anti-Liban). Ainsi, le domaine Ixsir, 120 ha dont 66 ha en production a un atout majeur, l’altitude de ses vignes sur des sols argilo-calcaires et calcaire Elles se répartissent de Batroun au nord de Beyrouth à 400 m d’altitude (là où se situe la winery du domaine) jusqu’à Jessine au sud (950 m), en passant par les montagnes de la Békaa avec Ainata (1700 m), Deir el Ahmar (1000 m), Niha (1200 m), Kab Elias (1000 m) ce qui en fait l’un des vignobles les plus élevés de l’hémisphère nord.
Ixsir fut créé en 2007 par Carlos Ghosn (fondateur déchu de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi), Etienne Debbanné et Hady Kahalé avec comme oenologue, l’espagnol Gabriel Rivero et en tant que consultant, Hubert de Boüard copropriétaire du célèbre château Angélus. Le domaine pratique la culture raisonnée, sans irrigation, en terroir aride avec des rendements plus faibles. Chaque parcelle est vinifiée séparément en petites cuves afin de conserver l’expression authentique des terroirs. Sans doute, l’une des plus belles réussites du domaine est sa cuvée El Ixsir Rouge (55 % syrah, 35 % cabernet sauvignon, 10 % merlot). Il provient des parcelles d’Ainata, Yamoune et Kab Elias sur des argiles ferriques avec plaques de calcaire. C’est un vin qui est vieilli en fûts de chêne français 24 mois. (Voir aussi l’EL Ixsir Blanc 2016 : 70 % viognier et 30 % chardonnay).
*Ixsir, du mot arabe Elixir ou Al-Iksir, forme la plus pure de toute substance mais également potion secrète garantissant jeunesse et amour éternels.


IV/La révolution des petits producteurs
Ils ont pour nom Atibaia, Baal, Belle-Vue, Sept, Vertical 33…
Il y a encore peu, à l’exception des châteaux Musar, Kefraya et consorts, on reprochait aux vins libanais de manquer d’élégance et surtout de légèreté. De toute façon les vins se vendaient ne serait-ce qu’au sein de la diaspora. L’arrivée des petits producteurs (libanais de souche ou tous ceux de retour au pays) a été une chance pour le Liban. Leur ambition, faire du vin artisanal et cultiver en bio. La qualité qu’ils ont apportée (car en général, l’équipement était à la hauteur de leur ambition) a commencé à primer, les terroirs ont été mieux gérés et les vins mieux vinifiés. Ainsi, Atibaia (nom d’une ville brésilienne pas très loin São Paulo) de Jean Massoud (dans les montagnes de Smar Jbeil, près de Batroun). En 2006, il plantait 4 ha de vignes sur des terres où ne poussaient alors que les chênes-lièges et quelques oliviers, plus 30 ha indexés à l’avenir. L’investissement fut considérable : cuves inox tronçoniques fabriquées sur mesure, processus de fermentation thermorégulé, vinification parcellaire, vieillissement en fûts de chêne de 12 à 18 mois dans des salles climatisées… Autre exemple, le domaine de Baal de Sébastien Khoury revenu au Liban en 2006 (après plusieurs années à Saint-Emilion). Ses 12 ha dont 5 ha de vignes cultivées en terrasse, sont situés sur les contreforts du Mont-Liban surplombant la plaine de la Békaa. Ici, cueillette manuelle, travail en culture biologique, de faibles rendements et 3 vins bio (fermentation en grappes entières pour le vin rouge, avec des levures indigènes, élevage en fûts de chêne français de 16 à 18 mois ; pas de collage, pas de filtration). Et que dire du château de Belle-Vue propriété de Naji et Jill Boutros ? Ils ont quitté Londres et la finance en 1999 pour s’installer à 25 minutes du centre de Beyrouth. Belle-Vue était à l’origine l’hôtel de son grand -père, dominant la montagne face à la mer Méditerranée et les montagnes enneigées au nord. La guerre en 1983 ravagea l’hôtel ainsi que les vignes. Le vignoble fut replanté en 2000 : 24 ha en terrasses (de 950 à 1200 m d’altitude), cultivé en bio sous le village de Bhamdoun (cépages : cabernet sauvignon et merlot pour la cuvée La Renaissance ; cabernet franc, syrah, merlot et cabernet sauvignon pour la cuvée Le Château).

Tout l’art de Maher Harb à Sept Winery
Mais c’est le vignoble de Maher Harb, 36 ans, qui en est la réussite la plus accomplie. Sept Winery (chiffre qu’il a d’ailleurs tatoué sur le bras) est un vignoble hérité de son père, Raymond à Nehla (Batroun). Il lui fallu terrasser la parcelle familiale de 6000 m2 bénéficiant donc de l’air marin remontant la nuit, qui protège du gel au printemps et de la grêle en été. Cet ex-informaticien à Paris a engrangé son premier millésime 2016 (une cuvée 100 % syrah soit 600 bouteilles). S’il travaille la syrah, le grenache, le cabernet sauvignon, sa grande passion, à côté de l’obeideh (voir plus bas), est de replanter des cépages autochtones, ceux qu’on trouve encore sur d’anciennes terrasses, francs de pied et résistants au phylloxéra. Mais Maher Harb ne se contente pas de cultiver, il achète aussi des raisins à des viticulteurs pour élaborer d’autres vins. Ainsi, chaque vin a son indication d’origine : Deir el-Ahmar, Rayak et Chouf. L’obeideh vient de Zahlé* et le viognier de Rayak*. Le respect de l’équilibre qui se trouve dans la nature est pour moi le plus important dit-il. Il revendique le bio dans la cave et la biodynamie dans le vignoble : aucun produit chimique n’est utilisé dans mon vignoble, je laboure la terre à cheval deux fois par an. J’aime beaucoup la nature et je suis persuadé qu’il faut la respecter si on veut produire un vin d’exception.
*Zahlé et Rayak sont deux villes proches (gouvernorat de la Békaa). Cette dernière est à majorité chrétienne grecque catholique.
V/Quand le Liban redécouvre ses cépages oubliés
La montée en puissance de l’obeideh et du merwah
Après l’anéantissement à 80 % du vignoble libanais par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle (la dernière attaque remonte à 1986), on replanta en privilégiant les cépages internationaux tels l’ugni blanc et le cinsault*. Il est aujourd’hui encore le deuxième cépage le plus planté au Liban (après l’obeideh cépage local, voir plus bas) sur plus de 450 ha. A la fin de la guerre, à partir de 1990, cette fois ci, le choix des producteurs se porta majoritairement sur le cabernet sauvignon et la syrah pour les rouges, le chardonnay et le sauvignon pour les blancs. Aujourd’hui, grosso modo, merlot, syrah et cabernet constituent l’assemblage standard pour les vins rouges avec la présence également de petit verdot, de malbec, de sangiovese ou de tempranillo. Un grand domaine comme château Ksara (437 ha sur un plateau d’altitude où les vignes sont plantées entre 900 et 1400 m) se targue de cultiver 32 cépages dont 2 hybrides : le cabernet volos et le sauvignon rytos sur 3 ha, cépages choisis pour être résistants au mildiou et à l’oïdium (plutôt rares au Liban) mais surtout au gel. Situé au pied du mont Barouk, à plus de 1000 m d’altitude, Kefraya cultive cabernet sauvignon, syrah, chardonnay et viognier, mais aussi des variétés plus atypiques comme le carmenère, le marselan, le muscat à petits grains et des cépages autochtones comme le obeideh.
* Le cinsault est le principal cépage rouge de la Békaa planté depuis 150 ans. Diana Salameh Khalil, oenologue depuis 2002 du domaine Wardy en a fait un rosé exceptionnel. Wardy fut aussi le premier à introduire au Liban, le carmenère.

22 cépages indigènes oubliés
Aujourd’hui on assiste en effet à la redécouverte des vignobles autochtones dont l’obeideh (ou obeidi) et le merwah. A noter cependant que château Musar fut la première cave à avoir assemblé obeideh et merwah dès les années 1950. Ces deux cépages aiment la hauteur puisqu’ils s’épanouissent à plus de 1000 m au-dessus de la mer sur les pentes de l’Anti-Liban, une chaîne montagneuse à l’ouest du pays, parallèle au Mont Liban, ainsi que sur le Mont Liban.
Mais attention ! La viticulture libanaise pourrait nous offrir à l’avenir d’autres surprises puisque l’INRA-Montpellier (Domaine de Vassal) compte 22 cépages en provenance du Liban (des cépages endémiques ou indigènes) plus, 26 de Syrie, et une quinzaine d’Israël. Sur cette lancée, Château Kefraya qui s’est constitué sa propre pépinière de cépages indigènes* devrait sortir (de l’oubli) en 2019, un cépage blanc indigène, un vin issu à 100 % du meksessé (totalement inconnu !).
* Kefraya aurait identifié une quarantaine de cépages libanais potentiels.
Obeideh et merwah, le bon assemblage
L’obeideh qui sert aussi à la fabrication de l’arak (avec des rendements de 50 à 60 hl/h) est un cépage purement libanais n’étant comme on l’a cru ni parent du chardonnay ni cousin du chasselas malgré une certaine similitude morphologique. Tarek Sakr*, l’oenologue du Château Musar aime à dire que son acidité et sa capacité de vieillissement font merveille avec le Merwah, cépage qualifié de très nerveux : une étonnante complexité va ainsi ressortir de ce mariage explosif qui se laisse magnifier au bout de dix ans d’âge.
* Tarek Sakr, oenologue du château Musar depuis 1991 est diplômé de l’ENSAM de Montpellier. Il a fait ses premiers pas sous la tutelle de Serge Hochar, après un stage au Château Lafite Rothschild. Il travaille désormais au côté de Ronald Hochar.
Incroyable obeideh des domaines Wardy, Saint-Thomas, Vertical 33… !
Mais l’obeideh peut aussi être vinifié en mono-cépage. Le domaine Wardy (à Zahlé), fut le premier à lancer un 100 % obeideh produit au Liban, un Obeideh 2012 vieilli en fût de chêne pendant douze mois ; un nouveau vin décrit comme fruité, aux accords d’abricot, de melon blanc et d’iode. Château Saint-Thomas à son tour commercialisaient un 100 % obeideh produit à 3200 bouteilles (millésime 2013). Le domaine s’étend aujourd’hui sur 65 ha. Il a été créé en 1990 par Saïd Touma et sa famille sur une colline surplombant la vallée de la Bekaa. Il fut le premier en 2012 à produire un pinot noir au Liban (millésime 2008).
Imposer au Liban le vin naturel
Autre producteur à mettre en avant pour la qualité exceptionnelle de sa cuvée 100 % obeideh, n’est autre que Vertical 33. Le domaine de 3,5 ha a été fondé en 2013 par 3 amis, Azar Aïd, Georges Cortas et Joseph Ghossein (deux médecins spécialisés et un ingénieur). Ils ont choisi d’installer leur vignoble, sur les flancs arides de Jabal Knaissé, au-dessus de Zahlé, dans la Békaa avec un objectif : imposer au Liban le vin naturel, un vin non seulement bio, mais sans intrants ni levures ajoutées. Premier millésime, leur Obeideh 2015 issu de vieilles vignes d’altitude (1100 m). Ce vin aux tonalités de citrons confits a été noté 19/20 par la Revue des Vins de France (RVF). Pour eux, c’est le plus grand blanc dégusté par la RVF en provenance du Liban. En attente : un pinot noir (Millésime 2017) issus de parcelles situées dans le village de Ramtaniyé, entre 1 650 et 1 800 mètres d’altitude), après deux très beaux cinsaults 2015 (issus d’une sélection parcellaire) :
- Vertical 33 Cinsault du soir 2015 issus de vignes cultivées à mi-pente à l’est de Kefraya et de Barouk, à une altitude de 970 m sur un sol d’argile et de calcaire.
- Vertical 33 Cinsault brutal 2015 venu de la parcelle la plus haute de Barouk, à 1030 m d’altitude, sur les versants est de Kefraya, au sol argilo-calcaire bien drainé.

Un 100 % merwah chez Ksara
Voici un cépage oublié, le merwah qui ne se trouve plus qu’en petite quantité dans la région de Douma à 80 km au nord-est de Beyrouth. Il donne un vin sec, aromatique élaboré au château Ksara (le plus ancien domaine viticole du Liban fondé par les pères jésuites en 1857). Ce merwah mono-cépage n’est produit qu’à 20 000 bouteilles dans des conditions de culture particulières (sélection massale) à une altitude d’environ 1200 m sur des sols argilo-sableux, riches en fer ce qui lui apporte minéralité et fruité. James Palgé oenologue du château Ksara le rapproche avec ses saveurs exotiques et son goût de melon, au Muscadet. Il suggère de le déguster avec des fruits de mer. De son côté, dès 2016, Kefraya sortait 300 bouteilles d’un 100 % merwah dans sa collection de bouteilles rares, Les Exceptions (vendues exclusivement au château).

VI/ Ces grands domaines qui font le prestige du vignoble libanais
Le vin des moines (Coopérative Adyar)
Parmi cet incroyable renouveau de la viticulture libanaise, nombre de producteurs étonnent par l’exceptionnelle qualité des vins, la plupart bio. A côté des grands, pourquoi ne pas évoquer dans le district du Metn (gouvernorat du Mont Liban), la Cave du Monastère Saint-Jean de Khenchara avec sa chapelle du XIIe siècle, son musée de l’imprimerie (là où fut imprimé le premier livre en arabe du Liban) cernée par les vignes et géré par le père Charbel Hajjar. Il faut dire qu’au Liban, la production du vin a toujours été une spécialité des moines. Autre exemple mais à plus grande échelle, la coopérative Adyar (monastères en arabe) qui a été créée par l’Ordre Libanais Maronite en 2003. Huit monastères sur 72 établis au Liban répartis dans trois régions ont accepté de la rejoindre sous l’expertise de l’œnologue français Frédéric Cacchia :
- Kfifane, Annaya et Maad (région de Jbeil-Batroun),
- Beit Chabad, Mar Moussa et Gobay (dans le Metn),
- Rechmaya (Baabda-Aley),
- Sir (Chouf).
Leur méthode sans engrais chimiques, sans pesticides ni désherbants est certifiée bio par l’institut méditerranéen de certification (IMC). Ce sont des vins de terroir et chaque vin porte le nom du monastère qui le produit à partir essentiellement du sangiovese, du tempranillo et du cabernet franc. Vin emblématique de la coopérative : Expression monastique est l’unique vin rouge signé Adyar. Il est issu d’un assemblage de différents cépages provenant de régions différentes. Pour le millésime 2013, son origine est la région de Batroun-Chouf-Metn. C’est le fruit d’un assemblage de 30 % grenache, 30 % mourvèdre, 30 % syrah et 10 % Sangiovese. Enfin, les vins de la coopérative Adyar sont les seuls au Liban à avoir une double certification bio, pour son vignoble et pour son vin (une certification européenne avec des étiquettes portant la mention Vin bio issu de raisins de l’agriculture biologique)*.
*Un vin bio est un vin issu d’un vignoble cultivé sans engrais chimique, sans herbicide, ni pesticide de synthèse. Au niveau de la vinification, le vin est élaboré et élevé sans l’emploi d’additifs (levures industrielles, enzymes, sucres).

VII/Les 3 grands : châteaux Musar, Kefraya et Ksara
1/Château Musar (à Ghazir), 7 ans de réflexion !
Château Musar a été fondé en 1930. 180 ha. Production : 1,5 million de bouteilles. www.chateaumusar.com
Mémorable dégustation à Paris en septembre 2018 des vins du Château Musar dont cette cuvée spéciale1989, 100 % carignan issu de la plaine de la Békaa. Assurément un vin mythique, l’un des plus beaux vins que ce cépage est porté dans le monde ! Honneur donc au plus grand, au plus connu à l’international, le château Musar, figure iconique du vignoble libanais et premier producteur du Liban à finaliser une certification bio en 2006. Ses vignes sont plantées entre 1000 et 1500 m d’altitude dans un pays ensoleillé 300 jours par an avec une moyenne annuelle de température autour de 25°. Des cépages qui outre le cabernet sauvignon, sont plutôt Rhône méridional (carignan, cinsault, grenache, syrah)* ; des terroirs d’exception près des villages d’Aana et de Kéfraya dans la plaine de la Békaa ; des rendements très bas (30/35 hl/ha) ; des vendanges manuelles (autrefois aux bons soins des bédouins) entre août et octobre dès les premières heures de la matinée pour arriver au pressoir de Ghazir (à une trentaine de km au nord de Beyrouth) dans un parfait état de fraîcheur ; fermentation (levures naturelles) et repos dans des cuves en ciment comme à Pétrus pendant 6 mois avant de passer dans des barriques de chêne français ; des millésimes qui vont vieillir ensuite en bouteilles (des vins non collés et non filtrés) 7 ans environ avant d’être commercialisés. Un seul mot, exceptionnel !
*Pour les Blancs Musar privilégie viognier, vermentino, chardonnay et surtout, 2 cépages indigènes, l’obeidi (obaideh) et le merwah.




2/Château Kefraya (à Kefraya), l’un des plus beaux terroirs de la Békaa
Château Kefraya a été fondé en 1979 : 320 ha. Production : 1,5 millions de bouteilles. www.chateaukefraya.com
Kefraya possède sans doute dans la plaine de la Bekaa à plus de 1000 m d’altitude, l’un des plus beaux terroirs du pays. Le vignoble s’étale sur près de 300 ha de coteaux en terrasses, au pied du Mont Barouk qui culmine dans la chaîne du Mont Liban, à 1943 m. C’est aussi une réserve naturelle connue pour ses cèdres. Le terroir est une véritable mosaïque argilo-calcaire, caillouteux, argilo-limoneux et sableux. Les vignes bien exposées sont majoritairement palissées et plantées à 4000 pieds/ha avec une sélection de cépages faite pour les assemblages : cabernet sauvignon, carmenère, marselan, muscat à petits grains, chardonnay, viognier. Pas d’irrigation et un rendement moyen de 35 hl/ha ; vendanges et sélection manuelles des raisins à la vigne puis une deuxième sélection par tri optique sur table. On pratique au château une vinifications parcellaires. L’élevage des vins se fait en fûts de chêne français dans un chai d’une capacité d’un millier de barriques sous le contrôle du directeur technique du château, l’œnologue français Fabrice Guiberteau (sa 16e récolte en 2021). A noter que le célèbre vin qui fit la réputation de Kefraya, Château Kefraya Rouge, dont les étiquettes mirent en avant les œuvres d’artistes-peintres libanaises, se donne maintenant une allure moins bordelaise avec un cabernet sauvignon assemblé au mourvèdre et à la syrah. Château Kefraya élevé entre 18 et 24 mois en fûts de chêne provient de 22 ha de vignes de plus de 30 ans, vendangées à la main.


3/Château Ksara (Békaa), le château aux sept vignobles
Château Ksara a été fondé en 1857 : 450 ha. Production : 2,5 millions de bouteilles. www.chateauksara.com
Le vignoble s’étend sur 437 ha sur un plateau d’altitude où les vignes sont plantées entre 900 et 1400 m. C’est un vignoble de montagne en zone méditerranéenne. Il pleut et neige de mi-novembre à début avril, puis ensuite plus aucune précipitation pendant 6 mois. L’un des leviers mis en place au château est l’irrigation. Presque toutes les vignes sont irriguées : goutte-à-goutte ou aspersion. Des sondes mesurent l’humidité du sol à 60, 90 et 120 cm pour mieux gérer les apports et éviter l’enracinement superficiel. 6 zones de plantation fournissent le château. Mais cela ne suffit pas. Il faut s’approvisionner à l’extérieur, acheter du raisin à partir d’une vingtaine de cépages pour alimenter l’imposante machine qu’est Ksara (1 200 barriques, 150 cuves en Inox…). Le domaine est dirigé par Zafer Chaoui, aussi président depuis 2013 de l’Union vinicole du Liban. Il est secondé par George Khalil Sara, copropriétaire du Château Ksara.



Les 7 vignobles du Château Ksara
- Tal el Deir : 76 ha (craie et argile) : cabernet sauvignon, syrah, cabernet franc, petit verdot, gamay, mourvèdre, marselan, merlot, malbec, chardonnay, verdejo et vermentino
- Tanail : 63 ha (sol argile) : cabernet sauvignon, caladoc, cinsault, carignan, marselan, chardonnay, sauvignon, grenache, gros grain de muscat, petit grain de muscat, ugni blanc et viognier
- Mansoura : 52 ha (argile et craie rouge brique) : cabernet sauvignon, syrah, cabernet franc, caladoc et marselan
- Tal Dnoub : 71 ha (argile et calcaire sur substrat rocheux) : syrah, merlot, cabernet franc, petit verdot, caladoc et arinarnoa, chardonnay, sauvignon et sémillon
- Kefraya : 43 ha (argile et calcaire) : syrah, petit verdot, mourvèdre, caladoc, cinsault, carignan, chardonnay, sauvignon, sémillon, ugni blanc et clairette
- Ksara : 21 ha (argile et craie) : cabernet sauvignon, syrah, caladoc, chardonnay, sauvignon, sémillon, clairette, gewurztraminer et viognier
- Chlifa : 25 ha (sol argile et calcaire) : cabernet sauvignon, syrah, cabernet franc, marselan et sauvignon
- Massa : 27 ha (argile et craie) : syrah, carignan et sauvignon
- Saghbine : 21 ha (rouge brique) : cabernet sauvignon, syrah, merlot, petit verdot, gamay, sangiovese et mourvèdre

VII/Liste des principaux producteurs de vins libanais
(Liste non exhaustive)
- Ixsir (à Batroun) fondé en 2008 : 120 ha pour une production de 300 000 bouteilles. ixsir.com.lb
- Aurora (à Batroun) fondé en 2002 : 2,5 ha, production : 10 000 bouteilles. aurorawinery.co
- Château Wadih (à Akoura) fondé en 2010 : 1,2 ha, production : 8000 bouteilles. chateauwadih.net
- Riachi (à Khenchara) fondé en 1839 : 20 ha, production : 90 000 bouteilles. riachi.me
- Nabisse (à Rechmaya) fondé en 1999 : 2 ha, production : 15 000 bouteilles. nabise.com
- Château Belle-Vue (à Bhamdoun) fondé en 2000 : 24 ha, production : 20 000 bouteilles. chateaubelle-vue.com
- Coteaux du Liban (plaine de la Békaa): 15 ha, production : 100 000 bouteilles. facebook.com/coteauxduliban/
- Terre Joie (à Qanafar) fondé en 2008 : 10 ha, production : 15 000 bouteilles. terrejoie.com
- Latourba (plaine de la Békaa) fondé en 2006 : 45 ha, production : 60 000 bouteilles. latourba.com
- Château Khoury (à Dhour Zahle) fondé en 1995 : 15 ha, production : 50 000 bouteilles. chateaukhoury.com
- Château K (à Chtaura) fondé en 1974 : 70 ha, production : 300 000 bouteilles. chateauka.com
- Domaine de Baal (Békaa, contre-forts du Mont Liban) fondé en 1994 : 8,4 ha, production : 12 000 bouteilles. domainedebaal.com
- Château Isaac (à Deir El Ahmar) fondé en 2010 : 4 ha, production : 15 000 bouteilles. chateauisaac.com
- Domaine Wardy (à Zahlé) fondé en 1891 : 55 ha, production : 350 000 bouteilles. domainewardy.com
- Château Marsyas (à Kefraya) fondé en 2007: 65 ha, production : 60 000 bouteilles. chateaumarsyas.com
- Château Héritage (à Kab-Elias) fondé en 1888 : 100 ha, production : 300 000 bouteilles. chateauheritage.com
- Domaine des Tourelles (à Jdita-Chtaura) fondé en 1868 : 50 ha, production 250 000 bouteilles. domainedestourelles.com
- Clos Saint-Thomas (à Kab-Elias) fondé en 1990 : 65 ha, production : 450 000 bouteilles. closstthomas.com
- Atibaila (à Smar Jbeil Batroun), fondé en 2007 : 5 ha http://atibaiawine.com
- Château Fakra (à Kfardebian, Mont Liban) fondé en 2011 : 40 ha, production : 250 000 bouteilles. faqra.com
- Batroun Mountains Winery (à Batroun) domaine fondé en 2003 : 11 ha, production : 60 000 bouteilles. batrounmountains.com
- Coteau de Botrys (à Batroun villages de Eddé, Kfifane et Jnar) fondé en 1998 par Joseph G. Bitar : 16,5 ha, production : 60 000 bouteilles. coteauxdebotrys.com
- Massaya (nord de la vallée de la Békaa, près de Chtaura et Zahlé, à 38 km de Baalbek et à Faqra, Mont Liban ; à Tanaïl pour la cave) fondé en 1992 par Sami et Ramzi Ghosn : 30 ha http://www.massaya.com
- Château Qanafar (Khirbet Qanafar, Békaa ouest). 17 ha planté à 1200m d’altitude www.chateauqanafar.com
Les journées du vin libanais
L’UVL (Union vinicole du Liban) a été fondée en 1997, un an après l’adhésion du Liban à l’Office international de la vigne et du vin (OIV). Si aujourd’hui, 42 établissements vinicoles sont enregistrés auprès du ministère de l’Agriculture, sur ce nombre, 23 appartiennent à l’Union vinicole du Liban (UVL) et représentent 95 % de la production totale de vin du Liban soit 10 millions de bouteilles par an, selon Zafer Chaoui, actuellement à la tête de l’UVL et PDG du Château Ksara. C’est le rôle de l’UVL notamment d’organiser les Journées du Vin Libanais à l’étranger grâce à l’aide du ministère de l’Agriculture (Elles eurent lieu à New York, Washington, la Californie, la Russie, Londres…). Quant à l’Institut national de la vigne et du vin (INVV), encore très inefficace, il fut créé en 2013.

