Paul Pontallier Directeur Général de château Margaux est mort le 28 mars 2016, le jour de Pâques à l’âge de 59 ans alors que les ventes en primeurs allaient débuter (millésime 2015) au château. C’était son 33e millésime (il aimait comparer ces millésimes à ses enfants). Ultime hommage à Paul Pontallier, ce 33e Château Margaux s’est vu attribuer le titre de vin du millésime 2015 par le site Liv-ex* (bourse d’échange en ligne britannique spécialisée dans la spéculation et la vente des vins).
*Classement annuel établi après enquête auprès de 440 professionnels du vin du monde entier qui placent (les 2/3 d’entre eux) selon 5 critères, Château Margaux en tête des vins du millésime 2015 dégustés en primeur. Derrière, se place Haut Brion, Cheval Blanc, Petrus, Vieux Château Certan, Ausone, Lafleur, Palmer, Mission Haut Brion et en dixième position, Lafite Rothschild.
Je m’occupe de Margaux comme si j’en étais propriétaire
Paul Pontallier nous quittait au moment où le vignoble de Margaux se réveillait (débourrait) et que se préparait le futur millésime 2016. Sa mort prématurée mettait fin à un partenariat exceptionnel avec Corinne Mentzelopoulos. Il était entré au Château à 27 ans recommandé par Emile Peynaud*, son professeur à l’université. En poche, un doctorat obtenu en 1981 à l’Institut d’œnologie de Talence après une thèse sur les conditions d’élevage des vins rouges en barriques. Il est nommé en 1990, directeur général de Château Margaux au départ à la retraite de Philippe Barré. La longueur de ce partenariat est unique parmi les Premiers Grands Crus. La totale confiance, voire cette complicité qu’il noua avec Corinne Mentzelopoulos fut exemplaire pour la gouvernance de château Margaux. Toutes ces années furent une quête de l’excellence et la volonté commune de mieux exprimer le grand terroir de Margaux sans pour autant renoncer aux nouvelles technologies. Paul Pontallier n’a-t-il pas fondé à Margaux un département de recherche et développement dirigé aujourd’hui par Marie Descotis ? Rien pour lui n’était tabou ni la biodynamie, ni même la capsule à vis… Lui disant qu’il était un homme exceptionnel, Corinne Mentzelopoulos s’entendit répondre : vous êtes gentille. Vous savez, je m’occupe de Margaux comme si j’en étais propriétaire. Quand son fils Thibault lui demandait la différence entre un bon vin et un grand vin, il lui disait : un bon vin donne du plaisir, un grand vin donne de l’émotion. Et dieu sait si à Margaux il sut suscité cette émotion !
Paul Pontallier qui avait cette élégance et ce flegme tout britannique, était originaire d’une famille de viticulteurs, propriétaire du château La Loge Saint-Léger (en Bordeaux Supérieur) à Sainte-Foy-la-Grande. Mais qui l’eut cru ? Il eut d’abord une vocation de médecin qui s’estompa naturellement (et heureusement) pour la vigne et le vin.
*Emile Peynaud, père de l’œnologie moderne fut professeur à la faculté d’œnologie de Bordeaux jusqu’en 1977
De Maipo à Margaux
Son service militaire qu’il effectua au Chili lui donne l’occasion de donner des cours d’œnologie à La Pontificia Universidad Católica de Chile (PUC) à Santiago, célèbre université qui en 2015 renforçait d’ailleurs sa coopération avec l’Université et l’INRA de Bordeaux. En 1984, Paul Pontallier fonde au Chili le Domaine Paul Bruno dans la Vallée de Maipo (Bruno pour Bruno Prats, alors propriétaire de Cos d’Estournel), son associé et ami dans cette aventure à laquelle se joint un ami chilien (d’origine française), l’agronome et œnologue, Felipe de Solminihac. En 1990, le trio acquiert 18 ha dans le Alto Maipo, un coteau en piémont de la cordillère des Andes à 700 m d’altitude pour bénéficier des nuits fraîches. L’endroit, le Quebrada de Macul, parc naturel est le cœur historique du prestigieux vignoble de la vallée de Maipo. Viña Aquitania, le nom du nouveau domaine tout proche de Cousiño Macul* trouve en 2002 son quatrième mousquetaire, Ghislain de Montgolfier, PDG du Champagne Bollinger et qui sera Président de l’Union des Maisons de Champagne de 2007 à 2013.
*Fondé en 1856, Viña Cousiño Macul est le seul domaine établi au XIXe siècle qui soit encore aux mains de la famille de ses fondateurs.
Les quatre mousquetaires de la Viña Aquitania
Après avoir défriché le terrain de ses noyers et des pruniers, ils plantent cabernet sauvignon, merlot, carménère (originaire de Bordeaux, il est devenu le cépage emblématique du chili) et syrah, des cépages francs de pied (non greffés) puisque le phylloxera ne sévit pas au Chili. Ils sont aussi les premiers de la région à faire venir d’Espagne des cuves en inox. En 1995, les 4 amis continuent l’aventure. Ils se lancent plein sud, à 650 km de Santiago, à Traiguén, vallée de Malleco ; une vallée à une latitude qui correspond à l’île du nord de la Nouvelle-Zélande (Hawkes Bay, Gisborne, Wellington…). Ils trouvent là, sur des sols d’argile et de granit, riche en matières organiques et jouissant d’un climat tempéré, le terroir idéal pour le chardonnay (l’un des meilleurs du pays), le sauvignon blanc et le pinot noir.
La collection des vins Viña Aquitania,
- Sol de Sol Pinot Noir : Valle del Malleco-Traiguén
- Sol de Sol Sauvignon blanc : Valle del Malleco-Traiguén
- Lazuli (100 % cabernet sauvignon) : Valle del Maipo, Peñalolén,
- Brut Nature de Sol de Sol (assemblage de chardonnay et de pinot noir)
- Aquitania Rosé : 85 % carménère, 15 % cabernet sauvignon : Valle del Maipo, Peñalolén,
- Aquitania Reserva Cabernet-Sauvignon : Valle del Maipo, Peñalolén
- Aquitania Reserva Carménère : 85% carménère, 15% cabernet sauvignon : Valle del Maipo Costa, Peñalolén
- Aquitania Reserva Chardonnay : Valle del Malleco-Traiguén
- Aquitania Reserva Syrah : Valle del Maipo Alto, Peñalolén
Après la disparition de Paul Pontallier, les associés de Viña Aquitania, Felipe de Solminihac, Bruno Prats et Ghislain de Montgolfier vont continuer l’aventure chilienne avec les quatre enfants de Paul (Guillaume, Thibault, Alice et Antoine) en développant Viña Aquitania, trait d’union entre le nouveau et l’ancien monde.
Le Chili mais aussi l’Afrique du Sud
L’hémisphère sud aux saisons inversées permet de vendanger deux fois par an, une fois à Margaux et une autre fois au Chili ou en Afrique du Sud où Paul Pontallier fut le consultant de Plaisir de Merle (Coastal Région, district de Simonsberg-Paarl), domaine fondé par une famille huguenote. Parcours identique pour son ami Bruno Prats ! Il est associé à Hubert de Boüard (co-propriétaire de Château Angélus) dans Anwilka au pied de la Helderberg Mountain à Stellenbosch (avec Lowell Jooste, ancien propriétaire de Klein Constantia).
Thibault Pontallier, un pont entre orient et occident
Mais c’est aussi à sa famille qu’il pense et à l’un de ses fils, Thibault Pontallier (son deuxième fils, millésime 86) qu’il aide à lancer sa marque de vin. Thibault a fondé avec Arthur de Villepin, Pont des Arts (Pont pour Pontallier !) dont la vocation est de marier l’Art et le Vin, l’Orient et l’Occident, les amateurs et les passionnés. Ces deux là se sont rencontrés à Hong-Kong en 2010. Thibault est l’homme du vin, il est depuis 2010, ambassadeur pour l’Asie de château Margaux. Arthur est un passionné d’art. Ils décident alors d’associer leurs deux compétences en créant le label Pont des Arts ; la magie de mettre en avant pour habiller les bouteilles (une sélection de 3 grands vins de Bordeaux et de Bourgogne), des œuvres d’artistes comme le peintre chinois Zao Wou-Ki* (pour les millésimes 2010 et 2011), un ami de la famille Villepin.
* Le peintre et graveur français d’origine chinoise Zao Wou-ki est mort en 2013, en Suisse, à l’âge de 93 ans.
Le nouveau chai de l’architecte Lord Foster inauguré quelques mois avant sa mort
C’était le projet qui dès 2009 lui tint le plus à cœur, depuis que Corinne Mentzelopoulos avait décidé de confier au célèbre architecte britannique Lord Norman Foster (l’architecte du viaduc de Millau) la conception d’un nouveau chai dans le prolongement des anciens. Par bonheur, il assista à son inauguration en juin 2015 soulignant que ce nouveau chai ne tuait en rien l’harmonie de ces bâtiments bicentenaires et que sous un toit apparemment traditionnel se trouvait toute la technologie du XXIe siècle. Il sut en collaboration étroite avec l’architecte imprégner ce projet de toute sa compétence. Le nouveau chai se divise en 3 parties, l’une rassemble une quarantaine de cuves servant à la fois à la fermentation des raisins rouges et blancs, leurs petites tailles aidant à une meilleure sélection parcellaire. Une autre est le chai à barriques destiné à la vinification et à l’élevage du vin blanc (le Pavillon Blanc du Château Margaux) avec maîtrise des températures assurée à chaque barrique. Au coeur de ces installations comme un symbole, se situe le centre de Recherche et de Développement crée par Paul Pontallier. Il y a aussi cette surprenante vinothèque souterraine (salle de dégustation), sous les vignes qui permet de stocker dans des conditions idéales tous ces précieux millésimes dont beaucoup portent l’empreinte de Paul Pontallier. Enfin l’ancienne grande salle qui servait de réfectoire pendant les vendanges a été aménagée pour l’accueil des très nombreux visiteurs et pour servir également à des expositions temporaires.
Le domaine n’avait pas connu de tel chantier depuis 200 ans ! Un projet qu’André Mentzelopoulos, le père de Corinne eut approuvé assurément ! N’avait-il pas lui même dessiné les plans d’un nouveau chai souterrain achevé en 1982 ?