Des vignobles de l’extrême
Ces vignobles de l’extrême ont tous en commun d’être dans d’époustouflants paysages. Ils sont perchés à plus de 2000 m d’altitude. Pour atteindre les plus hauts, il faut souvent passer des cols, des ponts vertigineux, emprunter des routes incroyables, traverser des déserts. Tous cumulent climat d’altitude et terroirs exceptionnels. Ils sont au Tibet dans le comté de Qushui à Lhassa ; sur les contreforts de l’Himalaya, non loin de la cité mythique de Shangri-La ; au Chili dans une zone du désert d’Atacama, le plus sec du monde ou encore en Argentine à Salta autour de Cafayate. Des vignobles qui jouissent de conditions météorologiques bien adaptées à la viticulture en termes d’altitude et de latitude. Et puis, ce sont des régions peu concernées par les changements climatiques.

I/ Ces vignobles d’Ao Yun et de Cai Na Xiang perchés sur le toit du monde
Sans doute faudrait-il mentionner le vignoble de Cai Na Xiang, dans le comté de Qushui à Lhassa ; un vignoble tibétain situé à plus de 3 500 m au-dessus du niveau de la mer et reconnu par le Guinness World Records comme le « plus haut vignoble du monde ». Il a été planté de 11 cépages, dont le vidal, le muscat et une variété indigène de vin de glace nommée Bei Bing Hong, selon Rong Shun Biotechnology Development Ltd, responsable du vignoble.
Les vignobles d’Ao Yun nichés dans l’Himalaya

Le premier Grand Cru de l’Himalaya
Produire un des meilleurs vins rouges du monde dans un des endroits les plus improbables ? Niché sur les contreforts de l’Himalaya, au pied de la montagne Meili, ce terroir est entouré de sommets entre 5000 et 7000 m d’altitude. Tout en bas coulent le Mékong, le fleuve central des Trois Fleuves Parallèles. Ce petit paradis localisé dans le nord du Yunnan est appelé Ao Yun parce que caché par d’épais nuages qui entourent son vignobles (Ao Yun se traduisant par « flottant au-dessus des nuages »). Les vignes entre 2200 et 2600 m sont situées dans les villages d’Adong, Xidang, Sinong et Shuori non loin de la cité mythique de Shangri-La, proche de la province du Tibet. Ao Yun loue 314 parcelles auprès de 120 familles chinoises de culture tibétaine, réparties à travers ces quatre villages : « nous essayons de construire une relation à long terme avec les agriculteurs tibétains, en gardant leur tradition mais en leur demandant aussi de nous aider plus régulièrement pendant la haute saison en dit Maxence Dulou directeur d’AO Yun. De plus, avant que les tunnels ne soient construits, nous devions traverser des cols de haute montagne avec de l’oxygène, ce qui n’est plus nécessaire ».

Pourquoi le terroir de Ao Yun est exceptionnel ?
Pourquoi le cabernet sauvignon si loin de Bordeaux se plait si bien sur ce terroir de montagnes abruptes ? On y retrouve les mêmes conditions climatiques avec des températures similaires à celles de la région bordelaise. Chaque village présente des types de sols et un climat différent, en fonction de l’altitude, de l’exposition au soleil, du vent, des glissements de terrain et des sédiments fluviaux avec des variations au sein d’un même village, voire d’une même parcelle. L’ensemble des vignes d’Ao Yun couvrant 28 ha ont été subdivisées en 314 parcelles et 900 sous-parcelles en fonction des différents sols et climats. Les nuits sont fraîches et les températures diurnes, modérées. De plus, l’ombre apportée par les montagnes réduit la durée d’ensoleillement direct journalier, d’où une période de maturation allongée de 30 %. Ensuite, l’altitude expose les raisins à un rayonnement UV plus fort ce qui apporte une peau plus épaisse, des tannins plus complexes et une très bonne aptitude au vieillissement.
Jusqu’à deux mois d’écart pour les vendanges
Cette diversité des terroirs rend le travail plus complexe. Tout ici se fait à la main, les pentes rendant impossible l’utilisation des tracteurs. Les sol sont donc moins compacté ce qui permet un meilleur enracinement (jusqu’à trois mètres). « Nous avons quatre villages avec deux mois d’écart entre les dates de récolte dû à une différence de 400 m d’altitude. Cela permet de « refroidir » l’assemblage si c’est une année chaude en utilisant des plantations en altitude plus élevée » précise Maxence Dulou directeur d’Ao Yun. Se pratique ensuite un assemblage* de cabernet sauvignon, cabernet franc, syrah, petit verdot et plus récemment de merlot.
*L’altitude et d’autres paramètres climatiques modifient la perception des saveurs et des arômes. La sécheresse de l’air augmente l’accumulation de tannins dans la bouche et altère également la perception des arômes. Pour ces raisons, depuis le millésime 2016, l’équipe d’Ao Yun assemble ses vins au niveau de la mer.
Comment réussir une bonne vinification à 2600 m d’altitude ?
Un chai situé à 2 600 m d’altitude entraine une baisse de 25 % du niveau d’oxygène. Lors de la vinification, l’oxygène est nécessaire pour que le vin se développe harmonieusement et vieillisse bien dans le temps. Ao Yun a dû adapté sa vinification pour compenser ce manque d’oxygène en procédant à plus d’aération pendant la macération ; en pratiquant une plus longue macération adaptée à chaque terroir et millésime (entre 30 et 50 jours). Enfin, la fermentation malolactique se fait en jarre d’argile* et fûts de bois.
*Les jarres en argile qui sont utilisées dans la production du baijiu chinois sont neutres. Elles n’ont aucun impact direct sur le goût, mais laissent entrer plus d’oxygène dans le vin que les cuves en inox, ce qui permet d’adoucir les tannins et de développer les arômes.

Ao Yun est né d’un rêve remontant à 2008, celle de créer en Chine un vin d’exception, capable de rivaliser avec les meilleurs au monde. Ao Yun est le premier domaine viticole de l’Himalaya.
Au domaine d’Ao Yun on produit des vins à la robe profonde et à la fraîcheur intense. Ils sont l’expression d’un même style : harmonie, élégance et complexité avec des tannins doux et denses qui caractérisent le terroir et une finale longue, minérale et salée.
II/ Chili : désert d’Atacama, la vigne de l’extrême à 3600 m d’altitude
C’est l’endroit le plus sec du monde, à 3 600 m d’altitude, dans l’immense désert d’Atacama*. On est dans la cordillère des Andes chiliennes sur l’ancienne route qui reliait le désert d’Atacama à l’Argentine et à la Bolivie. Le journal El Pais a pu rencontré des vignerons du village de Socaire à San Pedro de Atacama, (reportage proposé en français par Courrier International). Ici, entre des terrasses agricoles millénaires, des rituels précolombiens et la proximité de lagunes aux couleurs surréalistes, le journal a pu rencontrer Cecilia Cruz. C’est une agricultrice propriétaire de Viña Caracoles qui cultive un demi-hectare de vignes sur un sol de sable volcanique, niché entre des ravins surplombant un désert de sel. Elle produit de la syrah et du pinot noir à l’ombre de filets qui assurent de l’ombre à ses rangées de vignes.
*Une floraison inhabituelle eut lieu pendant l’hiver 2024, un phénomène attribué aux fortes pluies causées par El Niño, influençant le climat mondial et provoquant des précipitations dans cette région aride.
Peu d’oxygène, des changements brusques de température, et un fort rayonnement solaire
A 3600 m d’altitude, avec peu d’oxygène, des changements brusques de température et un fort rayonnement solaire, ses vignes dans des conditions extrêmes sont les plus hautes du Chili et les plus hautes du monde. “Je n’avais jamais vu des pieds de vigne donner des fruits à une altitude si élevée (elle a planté ses premiers plants en 2010). Mes voisins étaient persuadés que je n’aurais jamais de fruits. Maintenant ils me demandent s’ils peuvent venir voir le raisin et le goûter, ils n’en reviennent pas« . Cecilia n’est plus la seule. Quelques voisins ont suivi son exemple avec succès.
Du muscat et du criollo
A une quarantaine de km de San Pedro de Atacama, le petit domaine de Toconao est entretenu par M. Espindola à 2475 m d’altitude. Il y a planté du muscat et du criollo (un cépage local ) à l’ombre de cognassiers, poiriers et figuiers, qu’il irrigue grâce à un ruisseau tout proche. Son débit ne permet d’arroser que tous les trois ou quatre jours et pendant la nuit. Enfin, deux vins du village de Socaire et de sa région en 2021, ont décroché une médaille d’or au Mondial des vins extrêmes.

III/ En Argentine, sur la route des vignes les plus hautes du monde
Salta, dans l’extrême nord de l’Argentine, abrite certains des sites viticoles les plus extrêmes du monde. Des vignobles souvent situés en terrain montagneux, certains atteignant des altitudes d’un peu plus de 3 000 m. Ils produisent en majorité les 2 cépages typiques de l’Argentine, le torrontes et le malbec. La vallée de Calchaqui (Vallées Calchaquíes* en partie dans la province de Salta) à elle seule, regroupe sans doute les 3 domaines les plus élevés et les plus emblématiques de la province (entre 2300 et 3000 m) : Colomé, Tacuil et Payogasta. Les hivers sont froids, avec des températures atteignant -6°C, ce qui implique un risque élevé de gelées dévastatrices. Le malbec, le cabernet sauvignon, le merlot et le tannat sont les variétés de vin rouge les plus répandues à Salta. Le malbec occupe la première place dans 60 % des vignobles de la région. Au niveau national, Salta ne représente que 1,8 % de la production totale des vins argentins.
*Les vallées Calchaquíes doivent leur nom aux indiens calchaquíes ou diaguitas, redoutables guerriers qui opposèrent un siècle de résistance à la colonisation espagnole avec leurs seuls arcs, flèches et haches.
Les vallées de Calchaquí, l’une des destinations viticoles les plus importantes
Les vallées de Calchaquí, à Salta, se sont imposées comme l’une des destinations viticoles les plus importantes au monde. C’est ce que souligne le magazine britannique Decanter, l’un des magazines de vin les plus influents au monde. Il a consacré un numéro spécial à cette région viticole argentine en février qui fut présenté à Wine Paris 2025 avec le but de positionner les vallées de Calchaquí sur la carte mondiale du vin.

Un cépage qui monte, le tannat
Bien sûr cette région est surtout connue pour ses Torrontés, le cépage blanc emblématique du pays que l’on trouve uniquement en Argentine avec pour objectif à partir de ce vignoble le plus haut du monde, d’utiliser l’altitude pour obtenir des arômes plus frais. Salta produit également des vins issus du merlot, du cabernet sauvignon, du malbec et du sauvignon blanc. Mais la surprise vient du tannat (cépage rouge) qui bénéficie d’un ensoleillement intense avec des variations de température diurnes et des sols riches en minéraux. Ces facteurs contribuent à des vins aux fruits concentrés, aux tannins fermes et à un équilibre distinctif entre puissance et élégance. Depuis quelques années le tannat de Salta attire de plus en plus l’attention.

Colomé la bodega la plus ancienne et la plus haute d’Argentine

Colomé est l’un des plus anciens établissements vinicoles d’Argentine. Situé à Molinos, il est également connu comme le vignoble le plus haut du monde. Son histoire commence en 1831. Après avoir changé de mains à plusieurs reprises, la propriété a été achetée par Donald Hess en 2001. Il a choisi un œnologue français Thibault Delmotte pour élaborer le vin le plus haut du monde issu des vallées de Calchaquí à Salta. On lui doit d’avoir donné un nouveau style aux vins de Colomé.
Une alchimie particulière liée à ces terres
La faible humidité et le climat tempéré de la vallée de Calchaquí à Salta sont parfaits pour les vignes qui poussent ici. L’altitude extrême, l’exposition intense au soleil et l’amplitude thermique sont des facteurs importants qui contribuent au caractère et aux arômes uniques. Il s’agit d’une alchimie très particulière qui appartient exclusivement à ces terres.
Altura Maxima à 3111 m d’altitude
Entre terres sablonneuses et caillouteuses, c’est à Cafayate que se situe le vignoble le plus haut de la région, l’Altura Maxima. La parcelle la plus haute se situe à 3111 mètres d’altitude. Il s’agit de pinot noir qui dispose d’un procédé d’aspersion d’eau pour limiter l’impact des gelées. Le domaine a également mis en place un système qui canalise l’eau venant des montagnes pour les travaux à la vigne et la production d’électricité.
« Imaginez que nous sommes à 4 heures de route de la ville, principalement sur une route de gravier. Et nous avons 4 vignobles différents à 4 altitudes différentes (1700, 2300, 2600 et 3111 mètres) séparés par plus de 150 km. À ces altitudes, nous avons plus de rayonnement ultraviolet, et le fruit se protège de ces UV, produisant une peau plus épaisse et plus foncée ce qui donne de la couleur et de la structure au vin ». Thibault Delmotte œnologue de Colomé

Alejandro Martorell, propriétaire de la Bodega Altupalka
Cette bodega est relativement nouvelle dans la province de Salta. Altupalka cultive depuis 2007 des vignobles de haute altitude et à haute densité. Au cœur de Molinos, au cœur des vallées de Calchaquí, se trouve Finca Tacuil*. À une altitude de 2 600 m au-dessus du niveau de la mer, la vigne donne naissance à Altupalka, des vins uniques au monde. Le résultat est un vin de terroir véritablement distinctif, d’une pureté et d’un parfum impressionnants. C’est un assemblage notamment de deux parcelles de malbec de Molinos (à 2590 m) et de Cafayete (1750 m), présentant une belle fraîcheur, des tannins fermes mais pas agressifs, et des fruits de mûre et de cerise noire. Le vin sans être boisé présente un bon équilibre malgré ses 15°. Aujourd’hui, Altupalka Extremo compte 14 ha de malbec (7 400 pieds/ha) et 2 ha de sauvignon blanc (5 400 pieds/ha), de merlot, petit verdot et pinot noir. L’endroit n’a pas d’électricité, donc pour irriguer précise Alejandro Martorell son propriétaire « nous avons dû doubler le volume et la profondeur du barrage. Cela nous permet d’irriguer au goutte-à-goutte sans utiliser de moteur, uniquement par gravité. »
*Le domaine occupe en fait une fraction de la vallée de Carreras à Finca Tacuil. « Le charme unique de cette vallée, située à 2 590 mètres d’altitude et entourée d’imposantes montagnes, nous a immédiatement captivés » en dit son propriétaire, Alejandro Martorell. « C’était une opportunité unique : la possibilité de faire un vin de la plus haute qualité ».

Ce qui distingue vraiment les vins de Salta, c’est leur intensité et leur concentration. Grâce à l’altitude et aux conditions extrêmes de la région, les raisins mûrissent lentement, ce qui permet aux saveurs et aux arômes de s’intensifier. Ce processus donne des vins à la structure complexe, mais en même temps équilibrés et frais.

Pour aller plus loin :







