En ce tout début novembre, n’est-ce pas la plus belle période pour se rendre à Chinon ? Oui, le ciel est bas, les nuages prennent cette teinte ardoisée qui se confond avec les toits de la ville. Mais quand un timide soleil perce, alors c’est tout le vignoble qui resplendit. Une année marquée par la pluie et le mildiou. Un début de vendanges tardif mais des raisins de qualité. En cave, les jus fermentent doucement et ce qui est gouté est prometteur. Alors c’est le temps pour des vignerons rassurés de faire une pause ; de se sentir en harmonie avec leur grand homme, au cœur de la « Rabelaisie ». Facile pour cette petite sous-préfecture de Touraine de se faire connaître !
« Chinon, petite ville, grand renom »
Rabelais, grand écrivain de la Renaissance, grand humaniste et premier auteur français à écrire sur le vin ne désignait-il pas sa cité de cœur ainsi : « Chinon, petite ville, grand renom » . Alors il est temps pour les invités du festival (9e édition) de s’abreuver de ces « Nourritures élémentaires », de se mettre en appétit du ventre, du cœur et de l’intelligence ; de glisser nos pas dans ceux d’un géant, Gargantua. Et pas question de se perdre puisque dans ce roman écrit en 1534, la topographie du Chinonais y est minutieusement décrite.
Les guerres picrocholines à La Devinière
Antoine Rabelais, père de François, était avocat au siège royal de Chinon et sénéchal de Lerné. Il possédait plusieurs propriétés, dont cette « maison des champs » à Seuilly, héritée de sa mère. Accolé au logis du XVIIe siècle, le pigeonniergrange. C’est l’édifice le plus emblématique de La Devinière (voir la photo) avec son toit de tuiles de terres cuites courbe. Il contient 288 boulins pouvant accueillir chacun un couple de pigeons, révélateur de la fortune du maître des lieux.
Une guerre inspirée de l’actualité de l’époque
Rabelais a placé sa maison natale au cœur de son roman Gargantua. C’est le château de Grandgousier. Il a fait de La Devinière le siège de sa dynastie de géants et de ce lieu le centre d’une épopée fantastique : la fameuse guerre picrocholine inspirée de l’actualité de l’époque (le conflit entre François 1er et Charles Quint).
La fouace, quelle poisse !
Depuis Rabelais, elle est célèbre. Mais cette petite brioche est responsable d’une querelle qui va dégénérer en guerre picrocholine. Il en donne d’ailleurs la recette : « faictes de fine fleur de froment délayée avec beaux moyeux d’œufs et de beurre, safran, épices et eau ». Aujourd’hui, c’est une petite brioche bien paisible, ronde épicée de safran et surmontée d’une noix. Elle se mange aussi bien sucrée que salée.
Une lecture musicale mêlant le vertige des listes ou énumérations rabelaisiennes à celui d’une musique concrète produite par la manipulation de petits objets démesurément sonores.
Chinon, vignoble historique et culturel
A Chinon, on dit qu’ouvrir une bouteille c’est libérer : « un vin juste qui a la gueule de l’endroit et de l’année où il est né, et les trippes du bonhomme qui l’a fait« . Cette formule choc vient de l’œnologue Jacques Puisais (1927-2020), habitant Chinon. Autre formule chez Rabelais : « Le vin a le pouvoir de remplir l’âme de toute vérité, de tout savoir et de toute philosophie « . Le vin dans l’oeuvre de Rabelais est omniprésent, et par l’habilité de sa plume, il a créé un lien entre les nourritures terrestres et celle de l’esprit.
De Rabelais à Max Ernst, on mesure les géants et on déguste du chinon
Rabelais était-il aussi anthropologue ?
Au cœur de Chinon, à la rencontre des vignerons
Au choix, pour une dégustation avec les vignerons et les vigneronnes de l’appellation : La Cabane à vin ; La Cave Voltaire ; Le Charbon et la Dilettante et quelques autres cavistes au centre de Chinon.
Les Caves Painctes pour rejoindre « le Temple de la Dive bouteille »
Si un lieu est plus emblématique à Chinon, ce sont bien les Caves Painctes. Partout l’extraction du tuffeau dans les coteaux et dans les plaines de Chinon a permis de bâtir châteaux, maisons et caves. Mais ici à Chinon, elles inspirèrent à Rabelais le « Temple de la Dive bouteille ». La légende veut que son père y posséda sa cave. Enfant, il y joua en arpentant les nombreuses et profondes allées. C’est en creusant cette pierre de tuffeau (roche calcaire) que la ville médiévale de Chinon fut édifiée. De plus elles offraient les conditions parfaites pour la conservation du vin. Aujourd’hui, ces quelque 1200 m2 de cavités appartiennent aux vigneron(ne)s de Chinon ainsi qu’au Entonneurs Rabelaisiens, deuxième confrérie bachique de France.
Des caves qui abritent la Maison des vignerons et vigneronnes de Chinon
Dans la ville même, au pied de la falaise surplombées par la forteresse royale, l’entrée des Caves Painctes est le lieu d’un bâtiment architectural ambitieux avec son toit de zinc et de tuiles rouges : la Maison des vignerons et vigneronnes de Chinon ; une Maison résolument tournée vers le futur.
Soirée banquet, le Carnaval des Caves Painctes en images
En cette année olympique, le champion chinonais de roulage de barriques est…
C’est une épreuve qui se déroule sur une piste spécialement aménagée dans l’une des galeries des Caves Painctes
Jean de Bonnaventure à la tête du château de Coulaine est aussi un formidable vigneron. Il a repris en 2017 cette très ancienne exploitation familiale située sur le terroir de Beaumont-en-Véron. 19 ha de vignes conduits en culture biologique (certifié en 1997). Sélection parcellaire de sols 100 % « Millarges », mêlés de matière organique, sur tuffeau jaune, situés en haut du coteau de Coulaine. Jean de Bonnaventure est ingénieur Agronome (ENSAT) et diplômé du DNO (Diplôme National d’œnologue). Son Château de Coulaine / Jean de Bonnaventure (cabernet franc) est une cuvée issue d’une grande parcelle située derrière le château, sur un plateau de sables calcaires jaunes et d’argiles, exposé en plein soleil.
A la Confrérie des Entonneurs Rabelaisien, on rythme les saisons de la vigne
« Messieurs les beuveurs, honorables dames et gentes demoiselles … la confrérie des Bons Entonneurs Rabelaisiens déclare ouvert son chapitre en ce vray pays de Rabelais qui le vit naistre et dit qu’avant l’extraordinaire repaissaille digne des grands gousiers, de bons amis beuveurs entreront en grandes pompes et honneur comme chevaliers après bonne et valable épreuve à dire et à voir comme fust Gargantua en bon vin breton qui ne croit en Bretagne mais en bon pays de Véron, Cravant, Panzoult, Ligré, Beaumont et austres lieux du pays de Chinon »
Quel est donc le point commun à tous ces gens illustres : Simone Veil, Caroline Kennedy, Pierre Sallinger, Line Renaud, jules Romains, Antoine Blondin, Yves Coppens, Gérard Depardieu, Claude Chabrol, Pierre Troisgros, Paul Bocuse, Périco Légasse, Stéphane Le Foll… (Ils sont plus de 40 000)* ? C’est d’avoir été un Jour ou l’autre, depuis plus de cinquante ans, adoubés chevaliers de la confrérie des Bons Entonneurs rabelaisiens, la seule de France qui puisse en toute légitimité se prévaloir du maître à tous en ce domaine, François Rabelais. Un nom qui évoque un esprit pétillant, audacieux, un humaniste, mais aussi la ripaille, la paillardise qu’on retrouve dans les personnages de Gargantua, Pantagruel, Grandgousier, etc. Nous sommes à Chinon, au cœur des terres rabelaisiennes au temple de la Dive Bouteille.
*Il se tient en moyenne par an une trentaine de chapitres exceptionnels intronisant chaque année un bon millier de vaillants néophytes, futurs chevaliers de la confrérie, prêts à porter allégeance à François Rabelais et à vanter le bon vin de Chinon.
Sans doute la confrérie la plus célèbre de France
La confrérie les Bons Entonneurs Rabelaisiens de Chinon est sans doute la plus célèbre de France (deuxième confrérie bachique après les Tastevin en Bourgogne). Elle est née le 8 juin 1961. Elle tient chapitre solennel quatre fois par an sous les voûtes immenses des célèbres Caves Painctes. Ces jours-là, les Grands Dignitaires dans le rouge, l’or et l’hermine de leurs costumes d’apparat reçoivent les futurs chevaliers au cours d’un imposant cérémonial d’intronisation. Leur sont alors remis le Grand Diplôme d’Honneur de la Confrérie et le Cordon aux couleurs rouge et or de Chinon, soutenant la médaille frappée à l’effigie du plus célèbre des chinonais, François Rabelais.
A la mi-juin se tient donc l’un des quatre grands chapitres de la confrérie, un chapitre solennel (le chapitre de la Fleur) sous la présidence symbolique d’un invité de marque (acteurs, écrivains, ministres…)
Les 4 grands chapitres de la Confrérie
- Chapitre de la Saint Vincent : en janvier
- Chapitre de la Fleur : en juin
- Chapitre des Vendanges : en septembre
- Chapitre de Diane : en décembre
A Chinon, on met partout ses pas dans ceux de Rabelais
Ici, dans ce vignoble chinonais de 2400 ha, chaque pas mène à Rabelais, géant universel de littérature né en 1494 à Seuilly près de Chinon. Entrer en chinonais c’est donc entreprendre un voyage au pays de François Rabelais avec cette curieuse impression qu’il est omniprésent. Il écrivait : « Boire est le propre de l’homme, boire vin bon et frais, et de vin divin on devient » ou encore : « Le vin est ce qu’il ya de plus civilisé au monde « . Si tout est démesuré dans l’oeuvre de Rabelais et notamment la soif, celle-ci n’est qu’une allégorie à l’envie d’apprendre et que « savourer » et « savoir » sont identiques puisque venant de la même racine latine « sapere » signifiant avoir de l’intelligence, du goût et du jugement.
Ce Gargantua qui a aussi façonné les Puys
Il est dit que ce sacré Gargantua, ce géant gentil a quelque peu modifié le paysage. D’abord, pas de doute c’est lui qui aurait fait pencher le clocher de l’église de Lerné en s’asseyant dessus. Ensuite, en décrottant ses bottes, il aurait formé les fameux Puys, ces buttes calcaires dotées de végétation méditerranéenne, une rareté dans le Val de Loire et où la vigne en contrebas s’épanouit. On les trouvent surtout dans la zone de confluence (Loire et Vienne), dominant jusqu’à 88 m le paysage alentour (on en dénombre 8 vers Chinon, Beaumont-en-Véron et Huismes.
Un vignoble structuré par la Vienne et la Loire
Comme dans son oeuvre, le paysage est structuré par la Loire et son affluent, la Vienne. Ces deux cours d’eau dessinent une sorte de triangle dont la pointe s’étire jusqu’à Candes-Saint-Martin (l’un des plus beaux villages de France)*. Sa base se referme sur 5000 ha de forêt ( une forêt domaniale) protégeant la vigne des vents du Nord. Et c’est encore la pierre de tuffeau dans laquelle est creusée la maison natale de Rabelais à la Devinière qui marque le paysage vinicole du Chinon ; une pierre formée il y a 90 millions d’années donnant cette légère couleur « terre de Sienne ». Elle prend même une teinte jaune sur des sols sable-coquilleux (appelés ici « millarges ») qui rappellent la présence de la « mer des faluns » recouvrant l’ouest de la France entre 16 et 3 millions d’années.
*Deux cours d’eau qui ont autrefois grandement développé les vins de Chinon.
Cabernet franc ou « breton », cépage roi du chinon
A chinon, le cépage roi est le cabernet franc (à 95 %) donnant des rouges et des rosés. Mais ici, on l’appelle « breton » ou « vin breton » ou « plant breton »*. C’est Rabelais lui-même qui le mentionne pour la première fois dans son roman Gargantua en 1534 : « J’entends de ce bon vin breton, lequel poinct ne croist en Bretagne mais en ce bon pays de Verron » ( Le Verron est un territoire sur l’appellation Chinon).
*Ce nom « breton » viendrait du toponyme du lieu d’approvisionnement qui pourrait être Nantes et des marchands bretons qui en assuraient le commerce. Autre lieu d’approvisionnement possible, le port de Capbreton, à l’embouchure de l’Adour dans les Landes. Le cabernet franc ayant vraisemblablement pour origine le biturica venu d’Espagne.
A Chinon, la vigne rentre dans la ville
Le Clos de l’Echo, vignoble historique de l’appellation
Le Clos de l’Echo situé au pied de la forteresse de Chinon est le vignoble historique de l’appellation. Son nom vient de l’écho qui se répercute à l’infini sur les murailles du château. C’est sans doute là que fut plantée la première vigne chinonaise. Il aurait appartenu à la famille de François Rabelais. Un temps voué aux céréales, ce terroir est depuis 1952 la propriété de la famille Couly. Les 13 ha du vignoble assez pentus offre un sol à dominante argilo-calcaire idéal pour le cabernet franc. Arnaud Couly petit fils de René et fils de Jacques est aux commandes du domaine depuis 2005. Le domaine est doté d’un chai moderne creusé dans le tuffeau et des caves impressionnantes du Xe siècle sont situées sous la forteresse de Chinon.
Première appellation du Val de Loire en production de vins rouges
Le chinon, cru historique de la Touraine produit 13 millions de bouteilles (11 millions en rouge, 1,1 million en rosé et 530 000 bouteilles en blanc). Chinon est la première appellation de vin rouge en volume de Loire. Elle recense 166 vignerons travaillant 2400 ha : 95 % en cabernet franc et 105 ha en chenin (5 % mais c’est « tendance !), de vignes entre Tours et Saumur (la moyenne des surfaces d’exploitation est de 14,4 ha). L’appellation Chinon est constituée de petits clos, de vignes de châteaux ou de grandes maisons de maître, de parcelles sur terrasses et coteaux et jusque dans le centre ville de Chinon ainsi qu’au cœur des 26 villages qui constituent l’appellation comme à Savigny-en-Véron, Cravant-les-Côteaux ou encore Ligré.
Des vins de plus en plus bio (44 % des surfaces)
Les chiffres de la dernière enquête montrent l’inexorable montée de l’agriculture biologique. Ainsi, 74 % des surfaces en production sont labellisées ou en cours de labellisation Bio, HVE, terra Vitis. 44 % des surfaces sont conduites en agriculture biologique et biodynamique. Quant aux vendanges, 29 % des surfaces sont récoltées manuellement. Pour l’élevage, les vignerons élèvent leurs vins en barriques (entre 1 et 25 %), 6 % entre 50 et 74 % et seulement 1 % entre 75 et 100 %.
Sur un sous-sol de tuffeau, trois types de sols
Le vignoble se rencontre sur des coteaux surplombant la Loire et la Vienne offrant un paysage viticole qui se décline en vignes de plaines alluviales, de puys, de clairières et d’îlots. Pas moins de 51 terroirs ont été discernés par l’INRA d’Angers. Une pierre est ici emblématique, le tuffeau cette pierre blanche de Touraine qui a su façonner la vie, la vigne et les vins ; des vins riches en expression, puissants en bouche et possédant un excellent potentiel à bien vieillir. Trois types de sols reposent sur ce sous-sol de tuffeau : alluvions sableuses et graveleuses, argilo-calcaire et argilo-siliceux. Si le tuffeau servit à la construction du site fortifié de Chinon, il permit aussi à de nombreux vignerons d’y creuser leur cave et souvent leur maison.
*Ces terroirs se différencient par le sol, le sous-sol, les caractéristiques géologique, pédologique, climatique, le drainage, la profondeur, la granulométrie, l’altitude…
La parole au Président du syndicat des vins de Chinon
Jean-Martin Dutour, élu en 2023 président du syndicat des vins de Chinon est l’un des deux dirigeants de la maison Baudry-Dutour (aujourd’hui 6 domaines du Val de Loire). Il représente les 166 vigneron(ne)s de l’appellation. Cet ingénieur agronome de formation, est résolument tourné vers le futur : « Nous savons, comme partout, que nous devons faire face à des problématiques émergentes, à commencer par le réchauffement climatique, mais j’ai de l’ambition pour notre appellation. Elle connaît actuellement une montée en gamme constante de ses vins, avec des cépages remarquables, un vrai engouement des consommateurs et une belle dynamique collective. L’avenir nous appartient, à nous d’anticiper les enjeux de demain et de nous en saisir pleinement ! »
Cette forteresse royale qui force l’admiration
Parler de Chinon, de ses vins, de son ancrage rabelaisien sans évoquer la forteresse royale serait lui amputer un pan de l’histoire européenne.
Pour aller plus loin