Château Haut-Brion Premier Cru classé (1855), célébrissime Graves rouge est depuis 1986 en appellation Pessac-Léognan dans la proche banlieue de Bordeaux. J’ai bu un vin français appelé Ho-Bryan, qui avait bon goût, le plus particulier que j’eusse jamais rencontré notait dans son journal Samuel Pepys*. Goûta-t-il alors ce que Bordeaux produisait jusqu’au XVIIe siècle, des blancs ou des rosés, rouge pâle, ces fameux clarets que les anglais appréciaient tant ou bien un vin différent, un vin profondément rouge, un de ces premiers vins qui allait bientôt faire florès. Pour preuve, il sera le seul cru non médocain à être retenu dans le célèbre classement de 1855 parmi les trois autres premiers grands crus de l’époque, les châteaux Lafite, Latour et Margaux. Plus tard, lors du classement des vins de Graves décidé en 1959, ce furent également les vins rouges de Haut-Brion qui furent retenus excluant la production des blancs (quasiment inexistante à cette période).
*Samuel Pepys (1633-1703) à la chute de Cromwell en 1659 (dont le régime avait interdit les plaisirs publics dont le vin) participe à la restauration de la monarchie en faisant revenir de Hollande le roi Charles II, ce qui lui valut d’obtenir un poste dans les affaires maritimes. Il tint son journal de 1660 à 1669. Pour le garder secret, il l’avait écrit dans un langage codé.
Le plus urbain des grands vins du monde
Mais surtout, Samuel Pepys offrait au château Haut-Brion en le citant, le titre très envié de cru le plus ancien (fondé en 1525) et le plus réputé de cette terre bordelaise au point que le nom du domaine vint à remplacer celui de son propriétaire. Il s’appelait Arnaud de Pontac. C’était son arrière-grand-père Jean de Pontac qui avait fait élever le premier château exclusivement destiné à l’exploitation des vignes. Sans doute abusa-t-il de son vin puisqu’il mourut à l’ âge incroyable pour l’époque de 101 ans (1488-1589) ! Le château était alors hors la ville, au sud de Bordeaux sur des terres pauvres qu’on appelait graves car composées de gravier (différents variétés de quartz) et de sable déposés par la Garonne lors d’une période glaciaire de l’ère quaternaire, le tout posés sur une couche argilo-crayeuse. Aujourd’hui Haut-Brion a été rattrapé par la ville, cerné par la banlieue bordelaise faisant de ce cru exceptionnel, le plus urbain des plus grands vins du monde.
Une vaste terrasse nommée Haut-Brion
Haut-Brion est un vignoble de 48,35 ha formé par deux importantes croupes de graves günziennes. Elles s’élèvent de 12 à 15 m au dessus des deux ruisseaux voisins, le Peugue au nord et le Serpent au sud dont les cours délimitent cette vaste terrasse nommée Haut-Brion comme l’indiquent les anciennes cartes et les différents actes notariés de la région. Ici, la vigne au cœur de la petite cité de Pessac (on est en appellation Pessac-Léognan) dans la banlieue bordelaise a la particularité d’être protégée du gel par le réchauffement urbain, bénéficiant d’un véritable microclimat. Ainsi Haut-Brion est-il l’un des vignobles bordelais les plus précoces avec un maturation des raisins en avance sur tous les autres crus. L’âge moyen des vignes est de 30 ans. L’encépagement est à 45,4 % merlot, 43,9 % cabernet sauvignon, 9,7 % cabernet franc et 1 % petit verdot. A noter que depuis 1977, Haut-Brion cultive une collection de clones dans ces différents cépages qui permettent au domaine de sélectionner les plants convenant le mieux à l’élaboration du grand vin et que, 1.5 ha du vignoble est replanté chaque année.
La dynastie des Delmas
La culture est en mode raisonné avec labours et utilisation de produits phytosanitaires strictement limitée. Le rendement moyen est de 36 hl/ha. Les vendanges sont manuelles avec des sélections sur tables de tri. C’est l’un des rares châteaux à possèder sa propre tonnellerie. La durée de vieillissement en barriques de chêne se déroule entre 18 et 22 mois dans 80 % de bois neuf. La famille Delmas avec Georges de 1920 à 1961, son fils Jean-Bernard Delmas jusqu’en 2003 à qui l’on doit la sélection clonale et maintenant Jean-Philippe Delmas, tous directeur d’exploitation, perpétue l’excellence du château Haut-Brion (et depuis 1983, de son voisin immédiat La Mission Haut-Brion). Jean-Philippe Delmas est aujourd’hui secondé par son chef de culture Pascal Baratié et Jean-Philippe Masclef, œnologue et maître de chai du château.
- La production annuelle est d’environ 144 000 bouteilles.
- Second vin : Le Clarence de Haut-Brion nommé ainsi depuis le millésime 2007 (avec suppression de la dénomination précédente : château Bahans Haut-Brion) en l’honneur de Clarence Dillon, l’acquéreur du château en 1935. Durée de vieillissement en barriques de chêne de 18 à 22 mois dans 20 à 25 % de bois neuf. La production annuelle est de 72 000 bouteilles.
Autres vins :
- Château Haut-Brion Blanc sur 2,87 ha avec 52,6 % de sémillon et 47,4 % de sauvignon. Fermentation en barriques. Durée de vieillissement en barriques de chêne de 9 à 12 mois dans 50 % de bois neuf. La production est estimée à 7200 bouteilles. C’est un vin sec très confidentiel, très recherché par les connaisseurs et donc très cher.
- La Clarté de Haut-Brion nommé ainsi à partir du millésime 2009, remplaçant le nom précédent (Les Plantiers du Haut-Brion). C’est le descendant des deux vins blancs du Domaine Clarence Dillon : château Haut-Brion Blanc et château La Mission Haut-Brion Blanc. Fermentation en barriques et durée de vieillissement en barriques de chêne de 9 à 12 mois dans 40 à 50 % de bois neuf. La production annuelle est de l’ordre de 15 000 bouteilles.
Dans l’escarcelle d’un prince
La première mention du vignoble date de 1423 alors que son origine remonterait à époque romaine. Le vin porta d’abord le nom des Pontac, nom de la famille qui le possédait au XVe siècle. Sa réputation ne cessa de grandir au point que le nom du domaine en vint à remplacer celui de ses propriétaires induisant déjà une notion de terroir. Au long de sa longue histoire, château Haut-Brion appartint à des amiraux, un évêque, un grand Maréchal de France, deux maires de Bordeaux, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord alors Ministre des Relations du Consulat et de l’Empire, à une banque, à un ambassadeur et enfin à un prince, le Prince Robert de Luxembourg qui en est depuis 2008, le directeur général.
Haut-Brion plutôt que Cheval Blanc
Le prince est le fils de Joan Dillon, duchesse de Mouchy et petite fille de Clarence Douglas Dillon, banquier américain d’origine française par sa mère, ancien ambassadeur des USA en France (de 1953 à1957) et qui devint Secrétaire au Trésor de 1961 à 1965 sous la présidence Kennedy. Il acheta Haut-Brion en 1935. Ironie de l’histoire, le château avait d’abord été proposé par son dernier propriétaire âgé, malade et sans descendance à la ville de Bordeaux à titre de donation. Refus de la ville pour coûts d’entretien colossaux et faibles profits ! Une légende coure autour de cette transaction, celle qui veut que Clarence Dillon fut d’avantage intéressé par Cheval Blanc mais qu’un épais brouillard l’empêcha d’atteindre Saint-Emilion. Il s’arrêta donc à Haut-Brion dont il tomba sous le charme. La réalité est tout autre. Clarence Dillon était accompagné ce jour là par Daniel Lawton (le père du courtier bordelais Hugues Lawton). Bordeaux était alors en pleine récession entraînant une situation précaire pour nombre de châteaux. Clarence Dillon avait donc le choix. Il visita Margaux, Cheval Blanc et Haut-Brion. On connaît la suite.
Le risorgimento du château
Commence alors sur Haut-Brion le règne des Dillon. Il y eut d’abord dans la famille, le neveu, Seymour Weller qui pendant 40 ans (de 1935 à 1975) sera le rénovateur, le modernisateur du château et de son équipement vinicole ; puis la petite fille de Clarence, Joan. En 1975, lorsqu’elle prend la présidence, elle est Princesse de Luxembourg. Trois ans plus tard, veuve elle épouse Philippe de Noailles, duc de Mouchy qui la secondera dans cette tâche. Jusqu’en 2003, elle continuera l’œuvre de son cousin. On lui doit outre la rénovation du château, la reconstruction de l’orangerie du XVIIIe siècle et la réfection du cuvier et du grand chai souterrain. A partir de 1991, elle entreprend la rénovation de la Cour des Artisans, la construction d’un chai technologique, d’une tonnellerie et d’un laboratoire.
L’action du prince
C’est ensuite au tour du fils de la duchesse de Mouchy (arrière-petit-fils de Clarence), le prince Robert de Luxembourg de prendre la responsabilité du château. Il sera nommé en 2008, président du Domaine Clarence Dillon. Après avoir créé en 2005, la marque de prestige Clarendelle et pour en assurer le développement à travers le monde, le prince du Luxembourg fondait la société de négoce Clarence Dillon Wines. En 2011, il franchissait la Garonne et la Dordogne pour se porter acquéreur du château Tertre Daugay, devenu aujourd’hui château Quintus, un Saint-Emilion Grand Cru Classé (classement rendu public en septembre 2012). En 2013, les Domaines Clarence Dillon se sont portés acquéreur du Domaine Allary Haut-Brion, 1,3 ha qui jouxte Château Haut-Brion. Ce domaine appartenait depuis 1919 à la famille Allary. En 2008, il avait été évalué à 1 m d’€.