De nouvelles techniques de taille (les tailles Guyot Poussard, Simonit & Sirch, non-taille…*) et un nouveau diplôme universitaire de taille et d’épamprage (le DUTE) qui clôture à Bordeaux une formation diplômante directement en lien avec la lutte contre les dépérissements. Eh oui, la taille fait sa révolution pour mettre à mal le dépérissement de son vignoble. Alors, ces nouvelles techniques supplanteront-elles les tailles traditionnelles que l’on pratique aujourd’hui, les tailles en Guyot, en cordon de Royat, en gobelet…? Aujourd’hui, un seul mot d’ordre : la taille doit être respectueuse des flux de sève et cette nouvelle manière de tailler limiterait le dépérissement de la vigne. La taille sera donc non mutilante avec comme consigne, tailler moins court, à des endroits précis de façon à conserver des flux de sève pour que la circulation dans le pied de vigne soit la plus fluide possible.
*Autres tailles, les tailles mécanisées de la vigne : Taille en haie, Taille Rase de Précision (TRP) et Taille minimale ou non-taille (minimal pruning). Voir plus bas.
Chaque cep est un cas unique
La taille qui s’effectue généralement durant la période de la dormance de la vigne (décembre à février) est un poste important de dépense. La taille n’est pas encore totalement mécanisable sauf dans certains cas, pour la pré-taille grâce à des machines sophistiquées dotées de capteurs optiques notamment. Chaque cep à tailler est en quelque sorte un cas unique où tout doit être pris en compte : le flux de la sève, la morphologie du plant, le rendement qu’on veut lui donner, la meilleure manière d’allonger la durée de vie du cep…
I/Taille Guyot Poussard, enfin une taille qui donne des résultats face aux maladies du bois !
Plus de doute, la taille Guyot Poussard une variante du Guyot donne de bons résultats. Déjà bien répandue en Val de Loire et en Bourgogne, elle commence à intéresser d’autres vignobles, notamment Bordeaux et l’Alsace. Elle fut promue il y a une vingtaine d’années dans le sancerrois par François Dal*. Depuis, 23 % des exploitants ont noté une baisse des maladies du bois dans leurs vignes. Elle se veut en effet moins mutilante et respecte les flux de sève. A Bordeaux, c’est Pascal Lecomte, de l’Inra, son promoteur. Les premiers résultats sont très encourageants avec une réduction significative des symptômes de l’esca.
*François Dal est conseiller viticulture à la Sicavac (Service Interprofessionnel de Conseil Agronomique, de Vinification et d’Analyses du Centre).
Les principes de la taille Guyot Poussard
La taille Guyot Poussard est une taille Guyot simple, à deux bras : un bras avec courson et un bras avec baguette et un courson sous la baguette. On change la direction de la baguette chaque année. Les plaies de tailles se retrouvent sur le dessus et alignées avec les précédentes. Il se forme ainsi un « courant de sève » sur la face inférieure des bras. Des chicots, ou cônes de dessèchement, de plusieurs centimètres doivent être laissés à la taille.
II/Simonit & Sirch, une taille à l’italienne, petite révolution dans le vignoble !
C’est une taille révolutionnaire qui vient d’Italie, mise au point par les maîtres tailleurs Simonit & Sirch avec un principe : améliorer la taille traditionnelle. Pour eux en effet, la présence de bois mort sur un cep est directement liée à la taille de la vigne. Afin de limiter ce bois mort dans la durée, la taille doit être respectueuse des flux de sève tout en s’adaptant aux spécificités régionales des modes de conduite. Depuis 2003, ils ont lancé une vingtaine d’écoles de la taille de la vigne en Italie. Cette méthode semble réduire le nombre de ceps malades. Certaines parcelles sont ainsi passées de 5 % de pieds malades à 2 %. Simonit & Sirch sont maintenant installées dans le bordelais. Les réactions de Christophe Dussutour (Château Trotte Vieille à Saint-Emilion)* sont encourageantes : nous travaillons avec Simonit & Sirch depuis quatre ans, et nous avons ainsi amélioré notre technique de taille. Finie la taille rase avec des ciseaux électriques et des scies ! Aujourd’hui nous respectons au maximum le flux de sève. Nos vieux pieds âgés de 130 ans produisent de nouveau de jolis bois et de jolis fruits. Les jeunes plantations entrent en production rapidement grâce à cette technique de taille respectueuse. Aujourd’hui, le personnel de l’exploitation ne reviendrait plus en arrière.
*A Bordeaux, plus de 10 % des vignes de cabernet sauvignon souffrent de maladies du bois, comme l’esca dont ce cépage est très sensible. Cette situation fait suite à l’interdiction depuis 2002 de l’arsénite de sodium, seul remède chimique contre les attaques fongiques (mais posant de sérieux problèmes pour la santé humaine).
Qu’est-ce que la méthode de taille Simonit & Sirch ?
Cette méthode de taille Simonit &Sirch repose sur 4 règles simples qui s’adaptent à toutes les formes de conduite de la vigne selon un mot d’ordre : favoriser, à travers la taille, l’aptitude naturelle de la vigne à la ramification, clé pour assurer une longue et saine vie aux ceps.
1/La ramification
Il faut repenser les espaces à disposition pour le développement de la plante avec pour premier objectif : guider le développement des ramifications latérales (les canaux) à aligner dans l’axe des rangs de vigne et les maîtriser dans le temps.
2/ La continuité du flux de sève
Il y a lieu de séparer les zones de dessiccation (dessèchement) * du flux principal de sève. Les ramifications doivent en effet pouvoir se développer dans la meilleure continuité possible du flux de sève. Pour le garantir, il est nécessaire de positionner les plaies de taille successives toujours du même côté, ce qui permet de séparer la zone de bois mort lié à la dessiccation de la partie vivante qui assure le flux de sève.
*La taille crée des plaies de taille qui cicatrisent en produisant une zone de bois mort dite cône de dessication. Cette zone, en s’étendant à l’intérieur du bois, peut avoir un impact sur les trajets de sève parcourant le cep et si ces trajets sont perturbés, l’équilibre physiologique du cep est également affecté ; sa survie étant alors menacée. La plante peut en effet subir un épuisement prématuré limitant sa vigueur et sa productivité en raison de trajets de sève trop perturbés par des zones de nécrose
3/ La taille au niveau de la couronne
Tout l’art du tailleur sera de réduire les surfaces de coupe et respecter la couronne. Cette troisième règle de la taille ramifiée concerne la typologie des plaies qui sont de petite dimension sur du bois d’un ou de deux ans. Dans ce système, la taille ramifiée réduit considérablement la surface des plaies de taille exposées vers l’extérieur et l’éventuelle colonisation par des pathogènes fongiques.
4/ Le chicot*
C’est en quelque sorte, une défense de plus pour la plante. Dans les cas des tailles dans du bois de deux ans, on peut maintenir un chicot. Il s’agit d’une portion de bois qui permet d’éloigner le cône de dessiccation (dessèchement) du flux principal de sève.
*Selon la sévérité des plaies de taille, il est possible de constater dans cette zone, l’apparition de bois mort qui sera plus ou moins rapide et qui impactera les flux de sève. Il faut donc limiter la profondeur du cône de dessèchement dans le courant de sève pour optimiser les réserves et préserver la viabilité de sa vigne. Son diaphragme semble jouer un rôle prédominant pour limiter et réguler les zones nécrotiques. Il permet de conserver une zone de bois vivant au-dessus de la zone d’insertion du bois de l’année et d’assurer ainsi son alimentation.
Marco Simonit et Pierpaolo Sirch, les sécateurs du Frioul.
Marco Simonit et Pierpaolo Sirch, ce sont eux qu’on appelle les sécateurs du Frioul. Ils sont reconnaissables partout où il y a de la vigne avec leurs pantalons kaki, leurs pulls en laine et chemises en coton à carreau. C’est disent-ils pour le confort dans le travail. Avant de venir en France à la demande de de Denis Dubourdieu*, inquiet quant au devenir du sauvignon dans les Graves, ils avaient révolutionné le système de taille en Italie. Leurs clients sont parmi les plus prestigieux : Schiopetto, Josko Gravner à la frontière italo-slovène, Venica, Ferrari et Bellavista. Ils ont aussi contribué à redéfinir l’identité du nebbiolo à Valtellina (en Lombardie, au nord du Lac de Côme, sur un sol granitique en terrasses). En France, la liste notamment de leurs clients dans le bordelais est impressionnante : Château Ausone, Château Pape Clément, Château Carbonnieux, Château Latour, Château d’Yquem, Domaine de Chevalier, Château Pichon Longueville de Louis Roederer…
*Denis Dubourdieu dans la préface de l’ouvrage de Marco Simonit (Guide pratique de la taille Guyot aux éditions France Agricole paru en 2016) écrivait : la taille détermine la quantité et la qualité de la récolte, la vigueur des sarments, l’état sanitaire et la maturation des raisins et on l’oublie trop souvent, la santé du cep, sa résistance et sa longévité.
III/Autres tailles (Non-taille, Taille mécanique, Taille rase de précision)
- Non-taille (taille minimale) : formation d’un seul cordon permanent situé entre 1,5 et 1,8 m et doté d’un système de palissage robuste. Aucune intervention en hiver (non taille totale). Pas d’écimage en été. Un rognage parfois nécessaire (hiver ou été) pour limiter le développement latéral de la canopée.
- Taille mécanique (taille en haie) : formation d’un cordon, puis taille hivernale avec une machine à tailler (qui taille les sarments au-dessus et de chaque côté du cordon.
- Taille rase de précision (TRP) : taille mécanique complétée par une finition manuelle plus ou moins importante pour réduire le nombre de coursons laissés et éviter les entassements. La non-taille et la taille mécanique se pratiquent obligatoirement sur des cordons libres sans releveurs. La TRP peut se pratiquer sur cordon libre, ou sur espalier avec releveurs
(Source Groupe ICV)
Qu’est-ce que la non-taille ou taille minimale (Minimal pruning) offrant une sensibilité moindre aux MDS ?
On appelle taille minimale (Minimal pruning) le fait de ne pas (ou presque) tailler la vigne. Seule, la pratique du rognage (en hiver et en été) permettra de contrôler l’importance de la charge de raisins dont les grappes sont de plus petites tailles. Chaque pied peut porter jusqu’à 1500 bourgeons. Elle est surtout réservée aux hauts rendements sachant qu’elle peut impacter la qualité du raisin ; des raisins qui sont plutôt riches en composés phénoliques (anthocyanes et tanins). Cette taille minimale est surtout adaptée au climat de type méditerranéen. En zone tempérée, la non-taille peut occasionner des difficultés et des délais de maturation, accompagnés d’attaques de Botrytis surtout si la charge n’est pas régulée.
Moins d’infection de plaies de taille, moins d’esca, moins d’eutypiose
Cette pratique en comparaison avec la taille en cordon, réduirait le taux d’infection des plaies de la taille par les champignons responsables des Maladies du bois (MDB). Elle présenterait ainsi moins de bois nécrosé et moins de dégâts dus aux champignons pathogènes. Une étude portant sur l’impact des systèmes de taille sur l’eutypiose a montré que l’incidence et la sévérité des attaques sont plus faibles pour la taille minimale en comparaison avec une taille classique.
Enfin, et ce qui n’est pas négligeable, ce système réduit les coûts de main d’œuvre dus à la taille.
IV/Avec le DUTE, première formation diplômante à la taille de la vigne
A Bordeaux, l’ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin) accueille chaque année 600 étudiants pour les former aux métiers de la vigne et du vin. Depuis 2017, cette offre est complétée par le DUTE (Diplôme universitaire de taille et d’épamprage)*, première formation diplômante directement en lien avec la lutte contre les dépérissements. Cette formation s’appuie sur les derniers travaux de recherche de l’ISVV et sur le savoir faire des maîtres tailleurs de vigne de la société italienne Simonit & Sirch qui supervise déjà la taille et l’épamprage de plusieurs grands châteaux girondins. Elle permet de découvrir le fonctionnement anatomique et physiologique de la vigne et comprendre les principes de la taille respectueuse des flux de sève. Une formation qui s’adresse à tous types de profils, seul le projet professionnel est pris en compte. Grâce à trois modules complémentaires, cette formation diplômante, unique en France, accorde une grande place à la pratique avec des chantiers de taille dans des grands domaines bordelais (châteaux Haut Bailly, Yquem, Couhins (Inra) Pichon Longueville Comtesse de Lalande et les vignobles Vauthier-Mazière…). Elle s’étale sur quatre semaines, avec 17 journées de formation*, alternant cours théoriques et pratiques.
*Le DUTE comprend 140 h de formation sur quatre semaines (17 jours effectifs). Si 30 % des cours sont dispensés à l’université (notamment avec des interventions du chercheur Pascal Lecomte sur les maladies du bois), 70 % de l’enseignement se fait sur le terrain dans les vignobles et notamment deux semaines dans ceux de l’INRA en octobre/décembre, puis une semaine en janvier pour la taille et une semaine en avril pour les ateliers d’épamprage. Sur un format plus court (deux jours), le stage de formation professionnelle « physiologie et pratiques viticoles » permet de comprendre les conséquences physiologiques de pratiques culturales.
Un diplôme universitaire pour améliorer les techniques de taille et lutter contre le dépérissement de la vigne
Le témoignage de Laurence Gény-Denis, Responsable service formation continue et apprentissage – ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin) est éloquent : dans le DUTE, nos quinze stagiaires viennent d’horizons divers : de Bordeaux, de la vallée du Rhône, de Champagne mais aussi d’Allemagne, d’Espagne ou d’Italie … Leurs profils sont variés : directeur technique, ouvrier viticole, propriétaire d’exploitation, demandeur d’emploi. Tous viennent améliorer leur technique de taille et contribuer ainsi à la lutte contre les dépérissements du vignoble.
L’expérience d’un stagiaire
Dominique Roujou de Boubée vivant en Galice (Espagne) est consultant en viticulture et œnologie (Terroir en Botella). Pour lui cette formation lui a montrer comment exécuter une belle taille pour la pérennité des pieds de vigne et la qualité de la récolte : afin de m’améliorer et pouvoir transmettre les bonnes techniques à mes clients, je me suis inscrit au DUTE (Diplôme universitaire de taille et d’épamprage). La combinaison des connaissances théoriques des chercheurs de I’ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin) et de l’Inra à la pratique des maîtres tailleurs de Simonit & Sirch s’est révélée extrêmement riche d’enseignement. Désormais, je n’appréhende plus la taille d’un pied de vigne de la même manière.