Transmission des exploitations familiales en milieu viticole : qu’attendre du parlement ?
Comment adapter une fiscalité à la transmission des exploitations viticoles ?
Et il y a urgence ! Le constat est là. Les vignobles familiaux sont en péril. La France perd des vignerons d’années en années avec -3 % en Champagne, -5 % en Charente, -14% en Bourgogne, -17 % à Bordeaux et plus de 20 % en Alsace depuis 2010 (recensement agricole 2020). Le modèle viticole français qui repose en grande partie sur des exploitations familiales se voit confronter à des défis fiscaux liés à la transmission du foncier. Et les charges liées à ces transmissions deviennent insoutenables pour les vignerons.
La vigne n’est pas considérée comme un outil de production
Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, la transmission des terres agricoles ne bénéficie pas des mêmes conditions d’exonération que d’autres secteurs, alors que les vignes sont bel et bien un outil de production. Résultat : les vignerons sont obligés de vendre au lieu de transmettre pour payer la succession. Les vignerons veulent surtout une fiscalité mieux adaptée aux réalités des exploitations viticoles familiales, plus un encouragement à la transmission des exploitations au profit des jeunes vignerons sans oublier que la très grande majorité d’entre eux hérite de l’exploitation familiale après 40 ans.
Ces années qui voient un départ massif en retraite
On est depuis quelques années à un moment crucial où les exploitants s’apprêtent massivement à prendre leur retraite. Ceux-ci se voient alors confrontés à un problème de succession. En conséquence, la plupart des exploitations familiales font face aux défis fiscaux liés à la transmission du foncier, un poids insoutenable pour les vignerons.
La dynamique de l’abandon
Mais très souvent la forte pression foncière combiné aux difficultés économiques dans certaines régions accélère la dynamique de l’abandon. Dans les vignobles d’Appellations dits à Haute valeur ajoutée, on constate une déconnexion importante entre le prix du foncier et la rentabilité de l’exploitation viticole. Dans ces vignobles, il faut plus de 5 ans de résultats avant impôt pour qu’un exploitant amortissent le coût de la transmission et jusqu’à 28 années de revenus pour un bailleur.
Bourgogne, Champagne des successions inaccessibles !
On a pu voir récemment en Bourgogne la vente pour 15,5 millions d’€ de 1,3 ha de vignes en AOC Aloxe-Corton. Le vignoble bourguignon est sans conteste, le plus exposé à la spéculation foncière. Les terres viticoles, souvent héritées de génération en génération, deviennent presque inaccessibles pour les jeunes vignerons en raison de leur coût exorbitant. Le prix de l’hectare peut atteindre des sommets vertigineux dans certaines régions, rendant impossible toute transmission sereine au sein des familles. De plus, en Bourgogne, la pression foncière est exacerbée par la spéculation avec un impact direct sur les familles vigneronnes locales. Elles sont bien souvent obligées de vendre leurs terres faute de pouvoir supporter les frais de transmission.
En Champagne, 1,8 million en moyenne l’hectare
En Champagne, où les vignerons sont 63 % à avoir 50 ans ou plus, chaque hectare de vignes est estimé à un prix moyen dépassant le million d’euros, jusqu’à 1,8 millions d’euros dans certains secteurs. Ces valeurs en hausse, couplées à des droits de succession élevés, rendent la transmission au sein des familles extrêmement complexe. Les frais de transmission deviennent ainsi un frein considérable au renouvellement générationnel, menaçant le maintien de nombreuses exploitations. Pour être concret, en Champagne, le coût de la transmission du foncier d’une exploitation moyenne représente 5,4 années de son résultat courant avant impôts. Pour un bailleur, il s’élève jusqu’à 28 années de revenus locatifs.
Qu’attendre de l’Etat ?
Dans un contexte de forte pression foncière et de taxation lourde, il est urgent d’adapter la fiscalité afin de pérenniser les exploitations viticoles et de préserver l’identité viticole française. L’alignement de la fiscalité de la transmission des vignes sur le dispositif Dutreil*, avec un abattement de 75 % sans plafond, est la solution pour protéger les exploitations viticoles familiales. Les attentes sont d’autant plus fortes que des promesses ont été faites récemment. A commencer par celles de l’ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire à l’occasion d’un déplacement en Champagne en janvier 2024 avec la proposition d’une hausse de l’abattement des baux à long terme à hauteur de 600 000 euros.
* L’objectif du Pacte Dutreil est de promouvoir la transmission des entreprises au sein de la famille, évitant ainsi leur démantèlement ou leur vente externe. Il vise à conserver le patrimoine professionnel pour les générations futures, tout en maintenant le contrôle et la direction de l’entreprise entre les mains des héritiers, donataires ou légataires.
Que penser de l’abattement fiscal à 600 000 € ?
L’augmentation de l’abattement fiscal à 600 000 € pour les biens ruraux donnés à bail à long terme à un jeune agriculteur est une mesure qui semble séduisante sur le papier, mais qui manque de cohérence par rapport aux enjeux réels du secteur viticole. Face à la réalité du marché foncier viticole, les montants envisagés, même augmentés à 600 000 €, restent largement inférieurs à la valeur réelle des terres viticoles dans de nombreuses régions de France, notamment en Champagne, à Bordeaux ou en Bourgogne, où l’hectare peut atteindre plusieurs millions d’euros.
Ce que demande la profession
Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons de la Champagne, accompagné de représentants de la Confédération Nationale des Appellations d’Origine Contrôlée (CNAOC), a réalisé un point-presse spécial consacré au dossier de la transmission des exploitations familiales en milieu viticole. Ensemble, ils demandent :
Un alignement avec le Pacte Dutreil lorsque les terres transmises ne figurent pas à l’actif du bilan de l’exploitation. II convient, sans imposer de limite d’âge, de supprimer le plafond de l’exonération à 75 % des transmissions à titre gratuit de biens ruraux (ou parts de GFA*) loués par bail à long terme à la condition que le bien reste la propriété du donataire, héritier et légataire pendant quinze ans à compter de la date de la transmission à titre gratuit.
*GFA : Groupement foncier agricole.
Autoriser les donations aux descendants pendant la période de conservation conditionnant le maintien de l’exonération partielle des biens ruraux loués à long terme, puisque les transmissions de biens ruraux interviennent de plus en plus tardivement dans la vie des exploitants agricoles et que l’âge moyen auquel un français hérite de ses parents ne cesse de reculer. II conviendrait ainsi d’adapter le dispositif des baux à long terme aux réalités des successions agricoles. Par ailleurs, il faut noter que cette adaptation est peu couteuse pour l’Etat.