Des variétés résistantes aux maladies fongiques et au changement climatique ! Chacun les attend en Champagne mais dans quel délai ? Ces nouveaux cépages en cours d’expérimentation ont déjà des noms : voltis, floréal, artaban, vidoc*… Faut-il craindre qu’ils modifient la typicité des vins de Champagne ? Autre sujet de préoccupation, l’aire de l’AOC Champagne. Elle est constituée de 4 grands secteurs bien délimités (description de ces 4 secteurs plus bas). Risquent-ils l’éclatement ? C’est une menace qui pèse sur la Champagne, conséquence si rien n’est fait, d’une dérégulation des plantations prévue par l’Europe pour 2030.
*Artaban, vidoc, floréal et voltis sont les quatre premières variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium inscrites en 2018 au catalogue français. Elles permettent de réduire le nombre de traitements phytosanitaires et sont le fruit d’un long travail de recherche initié par Alain Bouquet (décédé en 2009) dès la fin des années 60. Il a croisé des espèces de vigne très éloignées pour récupérer les gènes de résistance aux maladies, puis les a introduits par croisement dans l’espèce cultivée Vitis vinifera.
L’agri-bashing et la fameuse ZNT (Zone de Non-Traitement)
Voici sans doute deux des préoccupations majeures des vignerons champenois. Mais pour l’instant comment résoudre l’agri-bashing qui frappe notamment les vignerons et la fameuse ZNT, cette zone de non-traitement de 10 m avant toute habitation ou établissement scolaire. Elle ferait perdre 44 millions d’euros par an au vignoble champenois. Est-il bon de rappeler que 20 % des produits phytosanitaires consommés en France sont destinés à la vigne bien qu’elle n’occupe que 3 % de la surface agricole utile*. Les maladies oui mais le changement climatique ? Jusqu’à présent, les champenois s’en montraient plutôt satisfaits. Mais si les températures continuaient à grimper ? Alors, ce serait l’identité même du champagne, son style, sa fraîcheur qui seraient remise en cause.
* Les maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium et black rot) sont responsables à elles seules de plus de 80 % de la consommation de pesticides par la filière.
Appliquer la ZNT (Zone de Non-Traitement) de 10 m, c’est une perte annuelle de 44 m d’€
Une zone de non-traitement (ZNT) d’une distance de 10 m, c’est une perte de 44 m d’€ de CA par an pour le vignoble champenois, des chiffre avancés par Maxime Toubart, Président du Syndicat des vignerons de la Champagne (SGV). Il s’agit de cette bande de terre non traitée qui amputerait le vignoble de 800 ha déjà plantés en compromettant la plantation de 200 ha de vignes en potentiel. A cela s’ajouterait une perte foncière d’un milliard d’€. Seule solution pour éviter l’utilisation de fongicides, planter des cépages résistants au mildiou et à l’oïdium et préparer le vignoble aux inévitables évolutions climatiques. Dans ce but la Champagne s’est engagée dans un programme de création variétale alliant des techniques d’hybridation classiques et des outils innovants. Quant aux résultats, patience, de nouvelles variétés arrivent mais pas avant 6 à 7 ans. Des programmes de recherche dans ce sens sont menés par L’INRA (Resdur 1, Resdur 2 et Resdur) et par le Comité Champagne (Voir plus bas).
I/ L’AOC Champagne et ses quatre grands secteurs de production
L’AOC Champagne c’est d’abord un vignoble composé de 4 secteurs qui regroupent 34 272 ha* (4,5 % du vignoble national). Ainsi, en surfaces plantées (en partant des départements) :
- Aisne et Seine-et-Marne : 3417 ha (10 %)
- Aube et Haute-Marne : 8106 ha (24 %)
- Marne : 22 749 ha (66 %)
*Et 34 500 ha en tenant compte du potentiel pouvant être planté.
Les quatre grands secteurs du vignoble champenois
1/La Montagne de Reims
La région de la Montagne de Reims s’étend de part et d’autre de la rivière Vesle et de la ville de Reims, sur trois zones de terroirs.
- Au nord-ouest de Reims, le Massif de Saint-Thierry se présente sous la forme de petits coteaux. Vers l’est, des petits cirques sablonneux produisent des champagnes légers aux arômes d’agrume. A l’ouest des vallons argilo-calcaires confèrent aux vins à base de meunier une structure plus enrobée riche d’arômes de fruits charnus.
- Au sud-ouest de Reims, la Petite Montagne de Reims et la Vallée de l’Ardre se distinguent par des coteaux découpés en cirques aux sols sablo-argileux, où dominent le meunier et le pinot noir, donnant des vins équilibrés, fruités avec une bonne tension.
- Au sud-est de Reims, la Grande Montagne de Reims se caractérise par un paysage de côte continue avec des expositions variées vers le nord, nord-ouest, nord-est, est et sud. Les sols de craie, très caillouteux, permettent un drainage naturel efficace. Le pinot noir occupe les sols argilo-crayeux bien exposés, le meunier les sols argileux ou argilo-limoneux plus frais et le chardonnay les sols très crayeux et favorablement exposés vers l’est.
2/La Vallée de la Marne
C’est la plus vaste région viticole de la Champagne. Elle s’étend sur près de 100 km sur les deux rives asymétriques de la rivière Marne, en passant par les départements de la Marne, de l’Aisne et de la Seine-et-Marne. Les sédiments sablonneux, argileux et marneux, déposés depuis 65 millions d’années, surmontent la craie qui disparaît peu à peu en se dirigeant vers l’ouest depuis Epernay. La rivière a creusé son lit dans le vaste plateau de Brie, rejointe par des cours d’eau affluents qui ont développé des vallées secondaires. Les sols présentent une dominante argileuse dont la fraîcheur et l’humidité, associées aux zones d’accumulation d’air froid, prédisposent le cépage meunier dans le secteur. Les sols plus marneux et calcaires reviennent au pinot noir tandis que le chardonnay occupe les sols calcaires aux expositions favorables.
3/La Côte des Bar
La Côte des Bar est une ligne de relief creusée par la Seine, l’Aube et l’ensemble de leurs affluents, dans les formations sédimentaires déposées il y a 160 à 145 millions d’années.
- La Vallée de la Seine dans le département de l’Aube forme le secteur du Barséquanais, qui se distingue par une influence climatique continentale et des sols marno-calcaires caillouteux et riches en fossiles d’huîtres. Le pinot noir y est majoritaire. Les champagnes qui en sont issus présentent des arômes iodés, de calcaire fumé, mêlés aux parfums des fruits rouges et noirs. Le palais charpenté peut présenter une puissance étonnante.
- La Vallée de l’Aube, située plus au nord, regroupe également les vignobles du département de la Haute-Marne. Elle forme le secteur du Barsuraubois aux sols calcaires plus argileux. Les champagnes issus du pinot noir et du chardonnay se montrent amples dans le palais mais plus gras, avec des notes de fruits confits, fumés et miellés.
- Le vignoble de Montgueux est lui aussi situé dans le département de l’Aube, à l’ouest de Troyes, sur des coteaux bien exposés vers l’est et le sud-est. II se distingue des deux précédents par des sols plus récents composés de craie à silex déposée il y a 90 millions d’années. Les vins, à dominante de chardonnay, offrent une grande élégance florale et une minéralité de calcaire fumé caractéristique. Quelques pinots noirs sont vinifiés en rouge pour servir de base pour les champagnes rosés d’assemblage.
4/La Côte des Blancs
La Côte des Blancs débute au sud d’Epernay et s’étend aux vignobles du Vitryat et du Sézannais. Elle présente une longue ligne de côte irrégulière dont les versants viticoles descendent vers la plaine par ondulations et croupes successives. Son nom est incarné par le cépage dominant, le chardonnay (raisins blancs à jus blanc donnant un vin blanc de blancs), qui apprécie ici les expositions favorables vers l’est, le sud et le sud-est, ainsi que les sols drainants de craie devenant plus sablonneux vers le sud. Cette roche calcaire est composée de carapaces d’algues microscopiques appelées coccolithes, déposées il y a quelque 70 millions d’années. Elle est sensible, friable et confère aux vins une structure en dentelle avec un profil olfactif très élégant. Un champagne blanc de blancs se distingue par une couleur jaune pâle, jaune vert, or vert.
II/ La Champagne et ses cépages. Quand la Champagne invente ses cépages de demain
La prédominance des 3 cépages principaux
Depuis 1927, 7 cépages sont autorisés en Champagne : pinot noir, meunier, chardonnay, arbane, petit meslier, pinot blanc et pinot gris. Et pourtant, 3 cépages écrasent tous les autres :
- Pinot noir : 38,3%
- Chardonnay : 30,4 %
- Meunier : 31 %
- Autres (pinot blanc, arbane, petit meslier, pinot gris) : 0,3 %
Ces cépages d’autrefois morillon, pinot aigret, fromenteau et le gouais, mais que sont-ils devenus ?
Le genre Vitis remonte à plus de 60 millions d’années (au début de l’ère tertiaire). Cette vigne primitive se cantonnait alors à l’hémisphère nord et donc en Champagne. Une feuille de vigne fossilisée datant du paléocène (-60 millions d’années) a d’ailleurs été trouvée dans la région de Sézanne. Il faut attendre les Romains entre le IIe et le Ille siècle de notre ère pour que la vigne soit cultivée en Champagne. Les premiers documents ampélographiques sur la Champagne remontent au XVIe siècle. La Maison Rustique (encyclopédie d’agriculture pratique publiée au XIXe siècle) cite parmi les meilleurs plants le morillon, le pinot aigret, le fromenteau ou pinot gris et le gouais. Le meunier, le pinot gris et le pinot blanc sont apparus à la faveur de mutations du pinot noir. Le petit meslier est issu d’un croisement entre le gouais et le savagnin. Enfin l’arbane est un cépage dont l’origine reste à ce jour un mystère. Les cépages champenois sont donc pour la plupart des variétés anciennes, auxquelles vient s’ajouter le chardonnay, plus récent puisqu’il remonterait à moins de 150 ans.
A la recherche de variétés résistantes
Depuis 2014, le Comité Champagne (au sein du programme régional Champagne-Bourgogne) a entrepris un programme régional qui intègre des croisements avec le pinot noir, le gouais, le chardonnay, le meunier, l’arbane et le petit meslier :
- Croisements x chardonnay
- Croisements x pinot noir & gouais
- Croisement x meunier, arbane & petit meslier
Le but étant de croiser les cépages autorisés en Champagne avec des variétés naturellement résistantes à certaines maladies ou présentant des particularités intéressantes, comme une maturation tardive par exemple, afin d’obtenir une résistance naturelle ou une aptitude culturale mieux adaptée à de nouvelles conditions climatiques.
Domaine expérimental de Plumecoq près d’Epernay
Les dix hectares du domaine expérimental de Plumecoq près d’Epernay (Marne) sont un laboratoire en plein air dont les recherches grandeur nature ne visent qu’un objectif : continuer à faire du bon champagne malgré le réchauffement climatique. A côté de la conservation de 350 ceps anciens pour assurer la biodiversité historique du vignoble champenois, la création de nouvelles variétés capables de s’accommoder d’un climat proche de celui de Montpellier aujourd’hui est l’une des voies les plus étudiées à Plumecoq. Arnaud Descotes qui est directeur des services techniques du Comité Champagne explore dès à présent des scénarios de rupture permettant de conserver la typicité de nos vins pour des hypothèses moins optimistes que +2° à l’horizon 2050.
Un programme de création variétale « régional »
Un programme de création variétale « régional » a été lancé avec pour objectif la mise au point de nouvelles variétés de vignes résistantes aux maladies fongiques permettant de conserver la typicité des vins champenois. Ce programme a démarré en 2014 avec une première série de croisements (hybridation) entre le chardonnay et une variété résistante. Les pépins issus de ce croisement donneront chacun une nouvelle variété qu’il faudra évaluer durant de longues années. Il faudra compter 15 à 20 ans avant la fin de ce programme et l’inscription de ces nouvelles variétés
Face au recours systématique de produits phytosanitaires, quelles solutions alternatives ?
De son côté, dès les années 2000, l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) s’engageait dans un programme de création variétale innovant. L’ambition était de favoriser le développement d’une viticulture durable, plus respectueuse de l’environnement avec la création de nouvelles variétés. Elles doivent posséder à la fois une résistance efficace et durable avec de bonnes aptitudes culturales et une bonne qualité organoleptique au vin.
Les outils : hybridation croisée et SAM (sélection assistée par marqueur)
Si le principe de base est ancien (hybridation croisée), les techniques de tri précoce utilisées, comme la sélection assistée par marqueur (SAM), sont novatrices. A titre d’exemple, l’INRA, au sein de l’UMR SVQV de Colmar, a étudié le déterminisme génétique des résistances provenant de vignes sauvages d’origine américaine ou asiatique. Il a mis au point ces fameux marqueurs moléculaires associés aux facteurs de résistance, ainsi que des biotests de résistance pour le mildiou et l’oïdium. Les cépages résistants mis au point par l’Inra avec l’appui de ses partenaires devraient être commercialisés et déployés sur l’ensemble du vignoble français à l’horizon 2030.
Qu’attendre des nouvelles variétés : voltis, floreal, artaban, vidoc ?
La Champagne s’est jointe au programme INRA-ResDur* en évaluant in situ des variétés candidates à l’inscription au Catalogue français. Ainsi, une stratégie de croisements, propre au programme Inra-ResDur permet d’associer deux gènes de résistance au mildiou et deux gènes de résistance à l’oïdium, provenant, d’une part, de l’espèce Vitis rotundifolia et, d’autre part, d’un groupe d’espèces où domine Vitis rupestris. Les nouvelles variétés sont ainsi dotées de résistances polygéniques, ce qui permet de conforter leur potentiel de durabilité. Grâce à cette stratégie, pour la première série de variétés, plantée en 2011-2012, l’évaluation a abouti à l’inscription de quatre nouvelles variétés : voltis, floréal (variétés blanches), artaban et vidoc (cépages rouges) dès janvier 2018. Une deuxième série est en cours d’évaluation et une troisième série vient d’être plantée pour être observée à partir de 2020. Ces variétés sont évaluées sur un certain nombre de critères phénologie, comportement agronomique, composantes du rendement, qualité du vin sans pourtant être sélectionnées pour répondre à un type de vin en particulier.
* Les variétés du programme « Résistances Durables – ResDur» de l’Inra présentent trois niveaux de pyramidage de gènes de résistance à ces 2 maladies, associant les gènes majeurs du mildiou et de l’oïdium à d’autres gènes de résistance.
Ces quatre variétés présentent une résistance totale à l’oïdium et élevée au mildiou. Elles nécessitent un nombre réduit de traitements fongicides complémentaires. Ainsi, les économies peuvent aller entre 80 % et 90 %. La précocité des nouvelles variétés convient pour de nombreuses régions viticoles françaises dont la Champagne. Il en est de même pour la productivité, qui s’échelonne entre celles du chardonnay et du grenache. La qualité organoleptique des vins produits est jugée comparable aux cépages témoins, avec des profils bien tranchés entre Artaban et Vidoc (vin rouge) et entre Floreal et Voltis (vin blanc).
De nouveaux cépages oui mais sont-ils à classer dans les OGM ?
Une plante est dite « génétiquement modifiée » lorsqu’on a introduit dans son génome un ou plusieurs gènes qui lui sont étrangers et ceci de façon artificielle (technologie de génie génétique). A l’opposé, l’hybridation exploite le mécanisme naturel de reproduction des plantes avec le brassage génétique qui l’accompagne. Le tri du caractère recherché se fait sur la descendance du croisement. Donc, ce n’est pas OGM.
Ces nouveaux cépages vont-ils modifiés la typicité des vins de Champagne ?
Les phases d’expérimentation prévoient des dégustations à plusieurs stades de vinification et sur plusieurs années. Chaque nouvelle variété est comparée à une variété existant en Champagne, comme le chardonnay par exemple. Ce sera aux professionnels champenois de décider si une variété est typique ou pas et si elle mérite ou pas de faire partie de l’encépagement. Si c’est bien le cas, son inscription au cahier des charges de l’appellation Champagne sera demandée à l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). La conclusion revient à Michel Drappier et à son fils Hugo (Champagne Drappier à Urville en Côte des Bar) : c’est l’avenir de notre profession. On va inventer de nouveaux cépages qui vont faire les champagnes des années 2030, 2040, 2050 et au-delà.