Ce vignoble emblématique des Corbières maritimes ferait-il du hors-piste ? Château de Lastours est en effet surtout connu pour ses 85 km de pistes aux dénivelés impressionnants. Elles laissent pourtant entr’apercevoir l’un des plus beaux domaines viticoles du Languedoc.
Cent hectares de vignes et 85 km de pistes dans un domaine de 850 ha de garrigues
Château de Lastours, comment qualifier cet immense domaine dans les Corbières maritimes avec ses 850 ha de garrigues dont 100 ha de vignes et 10 ha d’oliviers (plus quelques ruches), y compris les 85 km de pistes* ? Son village le plus proche, est Portel-des-Corbières. On est à l’entrée du massif des Corbières, à 300 m d’altitude et à 10 km de la mer Méditerranée ? Voici sans doute l’un de plus vastes domaines du Languedoc. Pourtant tout paraît ici si surprenant et hors norme. Depuis la fin des années 90, Lastours était surtout associé au prologue du fameux Dakar (le rallye). Et dans le monde des sports mécaniques, la réputation du domaine n’était plus à faire. Alors, serait-ce le souvenir d’un château du XIIe siècle qui se veut aujourd’hui d’abord viticole. Depuis 2019, date de l’arrivée du nouveau directeur général, Thibaut de Braquilanges, le château a réussi à replacer le vin au cœur de ses activités : nous sommes producteurs de vin avant tout. La preuve : nous vendons la moitié de notre vin en France et l’autre à l’étranger.
*D’ailleurs pour se déplacer sur le domaine, seuls les 4×4 sont utilisés.
Certifié en agriculture biologique
Château de Lastours, nouveau fleurons des Corbières ? Il est vrai qu’il est certifié en agriculture biologique depuis 2020 (500 000 bouteilles par an certifiées AB) ; qu’il possède un chai écoénergétiques ultra-moderne ; que question eau, problème réglé puisqu’il existe depuis 2013 une retenue alimentée par les eaux de ruissellement (donc pas besoin de pomper l’eau dans la Berre, principal cours d’ eau, tantôt oued, tantôt torrent au pied du massif) ; et que, last but not least, un Château de Lastours 1986, a été désigné par l’anglais, Robert Joseph (grand expert en vin, journaliste et auteur) comme meilleur vin du monde en 1989.
Lastours et son vignoble en pleine révolution
Aujourd’hui, depuis le rachat du domaine en 2004, par la famille Allard*, château de Lastours ne cesse de progresser. Un objectif : compter parmi les noms les plus emblématiques du Languedoc ; faire de ce beau terroir si longtemps délaissé, une référence en pratiques bios, en sélections parcellaires, en économies d’énergie et en œnotourisme. Ici, on s’efforce de travailler avec des pratiques saines et respectueuses de l’environnement. Il faut dire que le domaine a bien des atouts. Il jouit d’un microclimat maritime frais et tempéré. Ainsi, les vents marins de Méditerranée adoucissent-ils les variations de température favorisant une bonne maturité des raisins.
*Franck Allard, propriétaire du château de Lastours est aussi le président du directoire Filhet-Allard important courtier en assurances bordelais (un groupe qu’il a créé). La famille était classée en 2022 par le magazine Challenge dans les 500 plus grandes fortunes de France.
Ces 300 jours si bénéfiques à la vigne
Une belle maturité des raisins acquise par les 300 jours de soleil qui règnent ici sur ce secteur des Corbières ! Ajoutez 300 jours de vent par an ; une tramontane froide et puissante qui souffle du Nord-Ouest et qui offre à la vigne d’excellentes conditions phytosanitaires. On comprend mieux cette forêt d’éoliennes qui domine le domaine, les premières installées en France. Enfin, le terroir se compose d’un sous-sol à dominante argilo-calcaire, propice à la fraîcheur et à la minéralité des vins.
Adéquation parfaite entre cépages et sols
D’après la cartographie des sols réalisée sur le domaine en 2005*, l’encépagement a été entièrement refait, privilégiant les cépages typiques du terroir languedocien : syrah, carignan, grenache, mourvèdre, cinsault, vermentino et roussanne et cela dans l’optique d’une sélection parcellaire rigoureuse. En fait, le domaine cultive essentiellement syrah et grenache sans oublier un allier de poids, le très apprécié carignan (30 %) de l’encépagement (il sert à magnifier les assemblages) dont une partie est âgée d’une quarantaine d’années. Il est même replanté. Quant au mourvèdre, minoritaire, il sert d’épine dorsale au Château de Lastours Grande Réserve (avec syrah, grenache et carignan).
*Cartographie réalisée par Olivier Trégoat, grand spécialiste en identification des terroirs, révélant 15 terroirs différents sur Lastours.
Les blancs, le nouveau combat du château
Si aujourd’hui, les rouges représentent environ 80 % des vins et les rosé 15 %, les blancs, se trainent à 5 %. Pourtant, la demande est là et le château est dans l’incapacité d’y répondre. Donc, augmenter la production des blancs est aujourd’hui une priorité. La preuve, ces 4 ha de grenache blanc qui viennent d’être plantés. Mais pourquoi ce cépage-là ? Les blancs disponibles aujourd’hui à la vente sont des assemblages de roussanne et de vermentino. Après tests (sur le millésime 2019), le troisième cépage pour venir en complément est le grenache blanc. C’est lui qui a présenté le meilleur résultat organoleptique.
Un chai ultra-moderne conçu écoénergétique
Le chai de vinification et le chai à barriques, bâtiment de 1700 m2 semi-enterré a été conçu par l’architecte Éric Martin en partenariat avec Nicolas Dornier spécialiste en ingénierie viti-vinicole mais aussi vigneron. Ses teintes couleur terre s’intègrent parfaitement dans le paysage avec une étonnante et immense façade vitrée qui offre une vue magnifique sur les Corbières. Il a été pensé écoénergétique en limitant l’impact sur l’environnement. La lumière naturelle est privilégiée et les températures sont contrôlées grâce à une isolation et une bonne ventilation. Il est équipé de cuviers fonctionnant par gravitation, d’un pressoir pneumatique et d’un système de refroidissement des cuves pour les blancs et les rosés.
Une équipe de charme et de choc
L’arrivée de Thibaut de Braquilanges en 2019 nommé directeur général a donné une motivation nouvelle à l’équipe d’une vingtaine de personnes. Son expérience à l’internationale et notamment au Chili (Escudo Rojo, Vallée de Maipo, au sud de Santiago comme Export manager Latin America) et son passage chez Gérard Bertrand à l’Hospitalet (en tant que directeur export en charge du Duty-Free et Travel Retail), l’a aidé à mieux appréhender les différentes activités du domaine (la commercialisation, mais aussi la partie viticole et les activités oenotouristiques, très importantes à Lastours). En fait pour Thibaut de Braquilanges, c’est un retour aux sources, puisqu’il retrouve sa région natale, non loin du château où il a grandi. Ses grands-parents et ses parents étant vignerons à la Clape, au château Moujan. En 2020, il engageait comme directrice technique et œnologue, Anne-Laurence de Gramont (Montpellier Sup Agro),venant du château Haut-Bergey (Pessac-Léognan). Son expérience l’avait conduite également au château Giraud (Sauternes), chez Allan Scott Wine (Marlborough, Nouvelle-Zélande) et chez Brumont à Madiran.
Lastours connu depuis l’époque romaine
Ce lieu surplombant la Via Domitia ou voie Domitienne (reliant Rome à l’Espagne) est occupé depuis l’époque gallo-romaine. Il doit son nom aux tours bâties pour surveiller le passage à gué de la Berre coulant au pied du domaine. Mais c’est au XIIe siècle que Castrum de Turribus est devenu Château de Lastours, se référant aux tours de guets qui surplombaient la voie Domitienne, à cet endroit particulièrement dangereuse. Cette place forte prendra toute son importance grâce notamment à la vicomtesse Ermengarde de Narbonne (1134-1193) *devenant un lieu de passage et d’accueil privilégié des voyageurs et des croisés de retour de Terre sainte. Du XIIIe siècle à la Révolution, ces terres inféodées aux vicomtes de Narbonne ne connaîtront que trois familles de propriétaires (de riches seigneurs). Lastours confisqué en 1791 est vendu en 1801. Au XIXe siècle, deux familles, les Calas d’abord, puis les Martin, férus de botanique et d’agronomie, forgent la renommée des vins du château. On y expérimente des méthodes de greffage. En 1940, Lastours devient la propriété de l’écrivain, scénariste et acteur, Louis Pierre Lestringuez (1889-1950) qui souhaite s’éloigner d’un Paris occupé. Si famille et amis sont protégés durant la guerre, l’immense propriété est négligée ; le château et son vignoble déclinent progressivement. Plus récemment, Lastours accueillit pendant une trentaine d’années un C.A.T de Narbonne. Cette tradition d’accueil et de réception perdure depuis le rachat en 2004, par la famille Allard
*La vicomtesse Ermengarde de Narbonne grâce à l’importante donation foncière qu’elle accorda également à abbaye de Fontfroide en 1157 est à l’origine de son extraordinaire prospérité ; prospérité de cette abbaye qui fut l’un des hauts lieux de l’ordre cistercien. Château de Lastours borde le massif de Fontfroide.
Les à-côtés de la vigne, sport automobile, accueil et gastronomie
Mais oh paradoxe, château de Lastours est peut-être davantage connu pour ses 85 km de pistes aux dénivelés impressionnants (des conditions de terrain similaires à celles de l’Afrique). Le domaine a acquis sa longue histoire avec les sports mécanique, depuis un passage du Paris Dakar. Il est devenu un haut lieu des sports mécaniques pour se préparer notamment aux compétitions dans les meilleures conditions ; pour tester les nouveaux modèles 4×4 électriques Mercédès et Porche (en toute discrétion) et même pour entraîner (en tout cas ils étaient là le jour de notre visite), les Forces spéciales. Il est également proposé aux amateurs, des randonnées en 4×4 ou en quads. Autres importantes activités du château, l’œnotourisme et l’accueil avec un restaurant, La Bergerie de Lastours (ouvert toute l’année). Les chefs, David et Renaud y servent une cuisine de terroir en accord avec les vins du domaine, en privilégiant les circuits courts. Pour l’hébergement, les villas « Laurède et Aladères » proposent 12 chambres au design contemporain et épuré ainsi qu’un hôtel et 3 salles de séminaire.