Nul doute, Clos de Tart-Monopole (7,5 ha d’un seul tenant), Grand Cru de la Côte de Nuits à Morey-Saint-Denis est le vignoble le plus cher du monde. Il a été acheté fin 2017 à la famille Mommessin (qui le possédait depuis 1932) pour 250 millions d’€ par l’homme d’affaire français François Pinault* par le biais de sa société d’investissement familial Artémis ; un Clos au statut à part qui n’a jamais été morcelé et qui est aujourd’hui le plus vaste Monopole classé en Grand Cru de Bourgogne. Il produit aujourd’hui, Clos de Tart Grand Cru-Monopole et La Forge de Tart Premier Cru, une production confidentielle de 25 000 bouteilles par an* diffusées au compte goutte à l’instar de ses proches voisins (Musigny, Romanée ou Richebourg).
*Avec des millésimes éblouissants comme 2001, 2002, 2009 et surtout l’incomparable 2005 qu’on rapproche des deux millésimes légendaires, 1928 et 1945.
Clos de Tart acheté comme une oeuvre d’art
Avec cet achat hors norme, équivalent à celui du marché de l’art, François Pinault s’offre pour 26 millions d’€ l’hectare, l’un des plus grands vins rouges du monde, parmi ces vins légendaires de Morey que le docteur Ramain célèbre gastronome décrivait en 1880 comme étant de puissants nectars, pleins de sève et violemment bouquetés, avec une saveur un peu particulière et très parfumée de fraises ou de violettes. On a coutume de dire en Bourgogne que les vins du Clos de Tart associent la puissance d’un Chambertin à l’élégance d’un Musigny. Joli coup donc pour le nouveau propriétaire avec ce premier millésime (2017) qui fait partie de la série des millésimes précoces que la Bourgogne connaît depuis 2003. Il se dessine comme étant très parfumés, élégants, riches et tendres à la fois, en un mot, extrêmement séducteurs… promesse donc d’un très grand millésime à venir.
*Déjà propriétaire depuis 2006 en Bourgogne du Domaine d’Eugénie (anciennement domaine Engel) à Vosne-Romanée puis en 2012 par l’acquisition de quelques rangs de vignes de Montrachet (une ouvrée, soit 4,28 ares) et de Bâtard-Montrachet (deux ouvrées).
Clos de Tart, l’un des 4 clos mythiques de Morey-Saint-Denis, tous grands crus
C’est un incroyable alignement de clos dans cette partie de la Côte de Nuits, celle qui est la plus propice à produire de grands crus. Par la route des Grands Crus, en laissant Latricière-Chambertin, on pénètre sur la commune de Morey-Saint-Denis par le Clos de la Roche (16,84 ha) puis, le Clos Saint-Denis (6,07 ha). Vient ensuite le Clos des Lambrays (8,22 ha) qui monte au nord plus haut sur la pente. C’est lui qui fut acheté par Bernard Arnault (LVMH) pour 100 millions d’€ en 2014. Enfin, mitoyen du Clos des Lambrays (un simple muret de pierre les sépare), le Clos de Tart (7,51 ha) bordé en contrebas par ses bâtiments d’exploitation, face de l’autre côté de la route à l’église du village. Tout s’achève plus au sud par Bonnes-Mares mais on est déjà sur la commune de Chambolle-Musigny.
Clos de Tart, 7,5 ha ceint d’un mur de 1,2 km
Le Clos de Tart est une parcelle rectangulaire de 300 m de long par 250 m de large située au milieu du coteau à une altitude variant de 269 m à 302 m. Elle est uniformément exposée à l’est-sud-est et ceinte d’un mur de 1,2 km en pierres (qui a été restauré), d’où le nom de Clos.
Au Clos de Tart, tous les 10 m, se rencontre un micro-terroir différent. Le sol y est constitué de terres brunes mêlées de petits cailloux, des marnes mélangées à de nombreux éboulis calcaires avec une partie plus argileuse dans la section la moins inclinée du clos. Une curiosité à constater ! Les vignes, de vieilles vignes de pinot noir de 60 ans d’âge en moyenne (certains ceps ont plus de 100 ans), sont plantées sur un axe nord-sud et non est-ouest afin d’éviter l’érosion et pour offrir une meilleure exposition (est-sud-est) et donc une meilleure maturation des baies. Cette orientation particulière des rangs de vigne, très rare sur les coteaux bourguignons, rend difficile la mécanisation de la culture à cause d’un fort dévers. C’est pourquoi la plupart des travaux sont effectués à la main. Pas d’engrais et d’insecticides mais du compost et la technique de la confusion sexuelle. Le rendement moyen est de 25 hl/ha. Toutes les replantations sont faites à partir de sélections massales internes effectuées par les vignerons du Domaine assistés de techniciens pépiniéristes viticoles. D’ailleurs, le Clos de Tart possède sa propre nurserie où sont conservées les souches sélectionnées du Domaine.
Les 6 parcelles vinifiées séparément
Ici le sous-sol qui date de la période bajocienne du Jurassique est si morcelé qu’on peut identifier six zones particulières. Elles donnent des vins aux styles et aux caractères spécifiques. C’est pourquoi, ces 6 différentes parcelles sont vinifiées séparément, puis assemblées et écoulées en fût par gravité. L’élevage se fait en fûts de chêne neufs* (de la forêt de Tronçon) fûts qu’on appelle pièces en Bourgogne d’une contenance de 228 l (environ 300 bouteilles), pendant 18 à 24 mois dans des chais climatisés en première année. Elles sont ensuite entreposées dans des caves construites sur trois niveaux par la famille Marey-Monge au XIXe siècle, d’une contenance de plus de 150 pièces pour une récolte moyenne qui dépasse rarement 100 pièces. La cuverie inaugurée en 1999 est dotée d’un équipement ultra-moderne et notamment de cuves en inox thermorégulée. La mise en bouteille se fait sans filtration.
Evoquer l’histoire récente du Clos de Tart, c’est mentionner le nom de Sylvain Pitiot* parti en retraite en 2015, un régisseur exceptionnel qui sut pendant 20 ans apporter un incroyable élan de qualité au Domaine. Il est aujourd’hui remplacé par Jacques Devauges, ancien directeur technique du Domaine de l’Arlot.
*Sylvain Pitiot est l’auteur de nombreux ouvrages dont : Les Vins de Bourgogne avec Jean-Charles Servant (Collection Pierre Poupon, 14e éd., Juin 2010) ; Nouvel Atlas des Grands Vignobles de Bourgogne avec Pierre Poupon (Collection Pierre Poupon, 2e éd., 1999) ; Les cartes murales : Côte de Beaune avec Pierre Poupon (Sépia-Art & Cartographie, 5e éd., 2009) ; Côte de Nuits avec Pierre Poupon (Sépia-Art & Cartographie, 5e éd., 2009).
François Pinault le 4e propriétaire de toute l’histoire du Clos
Au début du XIIe siècle, le Clos de Tart était appelé Climat de la Forge*. Ce n’est qu’en 1141 qu’il prit le nom de Clos de Tart après l’acquisition de ce climat par les Bernardines de l’Abbaye de Notre Dame de Tart, dépendance de Cîteaux qui le posséda de 1250 à la Révolution. Il s’agit d’ailleurs de la seule appellation de Bourgogne à n’avoir jamais subi de division depuis son origine en 1141 et n’avoir eu en tout et pour tout que quatre propriétaires dont le dernier n’est autre que François Pinault.
*La Forge de Tart second vin du Domaine dont le nom rappelle les origines du clos. C’est un Premier Cru élaboré à partir des jeunes vignes du Clos de Tart (des vignes de moins de 25 ans). On y retrouve les mêmes caractéristiques organoleptiques que celles du Clos de Tart mais avec moins de structure ce qui permet de le déguster plus précocement. En évoquant le millésime 2014, Jacques Devauges, dit qu’il exprime les caractères du Clos de Tart avec sans doute moins de complexité mais plus de fougue et un style plus direct. Le fruit présente l’éclat caractéristique des jeunes vignes. La bouche présente un caractère « juteux » et une gourmandise qui rendent l’ensemble très attirant.
L’histoire d’un achat hors norme
Un Picasso ou un Clos ! Quand on veut investir gros, le choix est maintenant ouvert : patrimoine viticole inscrit à l’Unesco ou œuvre d’art ! Est-ce malheur ou bonheur pour la Bourgogne. Son foncier flambe presque à l’instar de Bordeaux dont le premier Grand Cru, château Margaux fut vendu en 1977 pour 77 millions… mais on parlait alors en francs !
Donc, côté vendeur, Didier Mommessin (72 ans) président de la société propriétaire du Clos de Tart représentant une vingtaine d’actionnaires. Ils détenaient chacun entre 3 et 5 % du capital avec pour revenu annuel un chèque de quelques milliers d’euros accompagné de deux à trois caisses de vins. C’était ridiculement peu quand on sait aujourd’hui la valeur de leurs parts. Face à eux, quatre acheteurs, un groupe champenois (Roederer), un investisseur chinois, un propriétaire bourguignon et un tycoon du luxe, Bernard Arnault et sa société d’investissement familial Artemis déjà propriétaire hors Bourgogne de Château Latour à Pauillac, Château Grillet en Côtes du Rhône et en Californie à Napa Valley, d’Araujo Estate Wines acheté en 2013 et rebaptisé aujourd’hui Eisele Vineyards. Pour François Pinault, ce prestigieux clos de 7,53 ha d’un seul tenant, classé Grand Cru à Morey-Saint-Denis était une occasion rare, un investissement idéal à la hauteur d’une œuvre d’art, tel un Picasso ou ce Salvator Mundi toile de Léonard de Vinci devenu en novembre 2017, pour 377 millions d’€, le tableau le plus cher du monde.
Ici, la rentabilité ne compte pas
Clos de Tart est un investissement qu’aucune vente de ses vins, même à 500 € la bouteille (comptez 310 € pour un Clos de Tart 2012) ne pourra rentabiliser. Ici, la rentabilité économique n’existe pas, François Pinault s’est offert un morceau, sans doute l’un des plus prestigieux, du patrimoine mondial viticole. Pour rappel, les grands crus ne représentent en Bourgogne que 1,3 % du vignoble. Ces vingt dernières années, précise Albéric Bichot, directeur général de la Maison Albert Bichot, personne n’a perdu en investissant en Bourgogne. Mais ce sont des investissements patrimoniaux qui ne cherchent pas une rentabilité.