Pour les pépiniériste viticoles, afin de lutter contre le dépérissement de la vigne, comment mieux sécuriser l’approvisionnement de plants de vigne ? La France, faut-il le rappeler reste le 1er pays producteur européen de plants, couvrant 40 % des mises en œuvre en Europe (avec 1 539 ha de vignes-mères de greffons et 2 119 ha de vignes mères de porte-greffes). 10 variétés constituent près de 89 % des surfaces plantées soit 2047 ha. La région PACA a la plus grande surface de vignes-mères plantée. Viennent ensuite les régions Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et Aquitaine-Charentes. Dans les plants de vigne, deux catégories se distinguent :
- 1/les racinés composés d’une seule variété ;
- 2/les greffés-soudés qui comportent une variété greffon et une variété porte-greffe réunies par une soudure.
De moins en moins de greffage sur place
La pépinière viticole française a développé la production de greffés soudés, de préférence à celle de racinés pour s’adapter à la demande de viticulteurs qui pratiquent de moins en moins le greffage sur place. On estime à près de 220 millions de greffes boutures en 2017. Quant à La production de plants racinés, elle est beaucoup moins importante (à peine 2 million de boutures pépinière mises en œuvre). Le merlot et le chardonnay sont les cépages les plus greffés, suivis par l’ugni blanc, le pinot noir et la syrah.
31 porte-greffes sont autorisés à la culture, 5 représentent 75 % des plantations. Le plus utilisé est le SO4 suivi par le 110 richter, le 3309 couderc, puis le 41B et le 140Ru).
3500 autorisations de plantations nouvelles par an
Rien qu’en France, plus de 3 500 autorisations de plantations nouvelles ont été délivrées l’année dernière à près de 7500 demandeurs, sans oublier les programmes de restructuration et les volumes importants de complantation (le remplacement des pieds morts ou malades afin de respecter la densité requise pour l’appellation et retrouver la rentabilité de la parcelle).
En 10 ans, disparition de près de 20 % de la surface des vignes-mères
En dix ans, les surfaces de vignes-mères ont diminué de 19 % pour des raisons de préservation sanitaire de la qualité des plants. En moyenne, la perte de production de greffons est estimée par an de 30 à 40 %. Elle est détruite soit par accidents climatiques (le grêle notamment) soit par des contaminations virales du fait de la localisation* des vignes-mères au sein du vignoble. Enfin, comment mieux faire pour améliorer la stratification, étape cruciale pour le pépiniériste (moment où la soudure doit s’effectuer après le greffage) ? Autres sujets préoccupants : la réhydratation des porte-greffes et leurs conditions de stockage entre la récolte et le greffage.
*Hors zone AOC, il serait alors possible de les protéger des contaminations sanitaires et des intempéries par des cultures des plants sous filets anti-grêle par exemple.
Une bonne greffe peut limiter le dépérissement de la vigne
Le greffage est en fait l’assemblage de deux organismes vivants au moyen d’une soudure biologique. Tout commence par la culture de porte-greffes et de vignes mères à greffons sur des terres autour de la pépinière viticole. Rappelons que le porte greffe d’origine américaine car résistant aux parasites et notamment au phylloxéra formera la partie racinaire et le greffon tiré d’un cépage européen, la partie aérienne. La qualité de la greffe (comme la qualité de la taille d’ailleurs), est un élément déterminant dans la limitation de la progression des maladies du bois. Une greffe mal soudée a à coup sûr une espérance de vie réduite.
La greffe oméga versus les greffes anglaise, en fente ou la greffe F2*
S’il existe également une greffe anglaise, une greffe en fente plus la nouvelle greffe F2, la greffe oméga est actuellement, en France, celle qui fait l’unanimité auprès des pépiniéristes car étant mécanisable, elle rend possible la production à grande échelle (voir plus bas). Pourtant, de plus en plus de viticulteurs attribuent à la greffe oméga une part de responsabilité dans les dépérissements précoces et la rapide progression des maladies du bois. Enfin, quel que soit le type de greffage, le plus important est la qualité de la soudure. Celle-ci doit être parfaite sur toute la périphérie de la greffe. Pour une soudure de mauvaise qualité, le plant a de gros risques de dépérir après quelques années.
*La greffe F2 : serait-ce une nouvelle manière de greffer ? Son inventeur, Christophe Hebinger, pépinière à Eguisheim (Haut-Rhin) en a déposé le brevet. La greffe F2 correspond globalement à une double fente. Il s’agit de faire une première fente, ou plus exactement un V, puis un second V à angle droit du premier. On obtient ainsi un bois à quatre dents que l’on emboîte dans le greffon préparé de la même manière.
Comment greffe-t-on chez les pépiniéristes viticoles ?
Quel que soit le type de greffage, le plus important est la qualité de la soudure. Celle-ci doit être parfaite sur toute la périphérie de la greffe. Que le greffage soit réalisé en oméga, en fente ou à l’anglaise, si la soudure est de mauvaise qualité, le plant a de grandes chances de dépérir après quelques années.
- 1/Les sarments des vignes de greffons, soigneusement taillés vont servir à la greffe. Mais c’est un travail manuel au sécateur, un travail répétitif qui consiste à découper chaque branche et assembler le greffon. L’opération est réalisée en pépinière de février à avril. La coupe des greffons doit être exécutée le plus prêt possible de l’oeil. L’essentiel des opérations de greffage est réalisé sur table par greffe oméga dans 95 % des cas, une greffe qui s’effectue à l’aide de deux machines l’une assurant la découpe, l’autre l’assemblage en 1 ou 2 coups (de 600 à 700 greffes par heure). En général, une personne peut faire entre 6000 et 10 000 greffes par jour grâce à cette machine qu’on active avec le pied. Puis les boutures greffées sont paraffinées afin d’assurer la rigidité physique de l’assemblage et le protéger du dessèchement, vient ensuite leurs mises en chambre chaude afin de consolider la greffe.
- 2/Après l’étape du forçage ou stratification (processus qui permet la soudure), les plants greffé-soudé sont plantés en serre (plants en pots) ou en plein champ (plants traditionnels racines nues). Dès que le système racinaire est développé, le plant peut être utilisé par les viticulteurs. Les pots utilisés sont en matière végétale, biodégradable. Les pieds de vigne se plantent donc avec le pot.
- 3/Les plants sont ensuite à partir de novembre arrachés et triés, avant d’être conditionnés dans des cartons de 250 plants pour éviter qu’ils ne sèchent puis ils sont stockés dans des chambres froides de décembre à mars-avril en attendant leur plantation chez le vigneron.
Comment rénover et sécuriser la production des plants ?
La certification des bois et plants de vigne en France repose sur le contrôle de la multiplication de variétés et de clones sains* qui ont une valeur agronomique, technologique et environnementale et qui répondent aux critères de la viticulture actuelle. Ces variétés et ces clones sont inscrits au Catalogue officiel des variétés de vigne qui comporte trois listes distinctes :
- Listes A1: variétés de vigne dont les plants peuvent être commercialisés au sein de l’Union Européenne et qui sont éligibles au classement viti-vinicole en France.
- Liste A2: variétés de vigne dont les plants peuvent être commercialisés au sein de l’Union Européenne mais qui ne sont pas éligibles au classement viti-vinicole en France.
- Liste B: variétés de vigne dont le matériel de multiplication peut être produit en France uniquement pour son exportation vers les pays tiers.
La pré-multiplication est la première étape dans la diffusion des sélections de la vigne. Elle est placée sous la responsabilité du centre de sélection de I’IFV. Les vignes-mères sont gérées par un réseau de 14 partenaires régionaux (interprofessions, chambres d’agriculture, pôles IFV…). C’est avec ce matériel, dit de base, que sont produits les plants destinés à créer les vignes de multiplication de greffons et porte-greffes certifiés, avec lesquels sont produits les plants livrés aux vignerons.
* FranceAgriMer est l’organisme officiel de contrôle qui délivre la certification des bois et plants de vigne.
La pré-multiplication dans des serres sous filets insect-proof
Des maladies de quarantaine, comme la flavescence dorée, ou les maladies émergentes, comme la maladie de Pierce, constituent des menaces graves pour le vignoble. Aussi, les responsables de I’IFV ont décidé d’anticiper et de faire évoluer les conditions techniques de la pré-multiplication en plaçant l’ensemble de l’activité dans des serres sous filet insect-proof (voir plus bas). Les partenaires de la pré-multiplication réfléchissent aussi à un parc de vignes-mères plus réactif, par exemple pour la diffusion des nouvelles variétés résistantes.
Le réseau des 14 partenaires régionaux (établissements de pré-multiplication)
Les établissements de pré-multiplication sont responsables de la production de matériel de base pour les vignes mères. Ils sont agréés par le Ministère en charge de l’agriculture :
- Chambre d’agriculture de l’Aude : Zone d’activité de Sautès Trébes 11878 CARCASSONNE CEDEX 9 : 04 68 79 79 08 / 04 68 79 79 16
- Chambre d’agriculture du Gers : Domaine de Mons 32100 CAUSSENS 05 62 68 30 30/05 62 68 30 35
- Chambre d’agriculture de la Gironde : Service Vigne et Vin – BP 115 – 33294 BLANQUEFORT : 05 56 35 00 00 / 05 56 35 58 59
- Chambre d’agriculture de Pyrénées-Atlantiques : 124 Boulevard Tourasse 64000 PAU : 05 59 80 70 00 / 05 59 80 70 01
- GRAPVI : 59 rue du 19 mars 1962 – BP 522 – 71010 MACON CEDEX 03 85 29 55 53 / 03 85 29 56 77
- Institut Français de la Vigne et du Vin -Angers : 42 rue Georges Morel 49071 BP 600 BEAUCOUZE : 57 02 41 39 98 55 / 02 41 22 56 76
- Institut Français de la Vigne et du Vin – Sud-Ouest : V’INNOPOLE – BP 22, 81310 LISLE SUR TARN 05 63 33 62 62 / 05 63 33 62 60
- Institut Français de la Vigne et du Vin – Pôle national matériel végétal : Domaine de l’Espiguette 30240 LE GRAU DU ROI : 04 66 51 40 45 / 04 66 53 29 16
- Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace – SPMC : 12 Avenue de la Foire aux Vins – BP 1217 68012 COLMAR CEDEX : 03 89 47 01 60 / 03 89 47 62 90
- Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne : 5 rue Henri Martin 51204 EPERNAY CEDEX – BP 135 : 03 26 51 19 30 / 03 26 55 19 79
- Pépinières Didier Gillibert : 792 Chemin du Marquis – 84100 ORANGE : 04 90 34 34 10 / 04 90 34 84 54
- Mercier Frères SARL : 16 rue de la Chaignée – 85770 VIX : 04 68 94 24 53 / 04 68 94 21 09
- SICAREX Beaujolais : 210 Bd Vermorel 69661 VILLEFRANCHE-SUR-SAONE CEDEX – BP 320 : 04 74 02 22 40 / 04 74 02 22 49
- Station Viticole du Bureau Interprofessionnel des Vins de Cognac : 69 rue de Bellefonds – 16100 COGNAC : 05 45 35 61 00 / 05 45 35 61 45
Les plants chez Mercier déjà conduits sous serre et hors-sol
Olivier Zekri, pépiniériste Mercier Frères à Vix précise que déjà dans le nouvel établissement de pré-multiplication : les plants sont conduits sous serre et hors-sol, ce qui permet de nous prémunir contre les vecteurs de maladies qui pourraient provenir du sol et des airs. L’autre avantage, c’est l’adaptabilité. Ce système de conduite nous permet de changer plus rapidement de variété et donc, de répondre à des besoins qui peuvent être changeants plus vite. II est à la fois accessible économiquement pour nous, les pépiniéristes, et très vite disponible pour les viticulteurs.
Mercier, la plus grande pépinière viticole de France
Mercier greffe par an près de 20 millions de pieds (50 cépages différents) sur ses terres à Vix en Vendée (150 hectares ) et également dans le sud de la France. 60 % de la production est destiné au marché français. On est sans doute la plus grande pépinière viticole de France, peut-être d’Europe, voire du monde aime à dire Guillaume Mercier, cogérant avec ses frères de l’entreprise familiale qui emploie environ 150 personnes (Mercier produit également des vins en AOC Fiefs vendéens).
*Patrice Rey a été le coordinateur du Projet Casdar V1302 sur le thème : Microflores pathogènes et protectrices du bois de la vigne et réponses adaptatives de la plante. Développement de marqueurs de tolérance et de diagnostic.
De nouveaux porte-greffes plus résistants
Pour la pré-multiplication, le plan prévoit de la sécuriser en mettant le plus possible les vignes à l’abri des aléas sanitaires et climatiques. On encourage ainsi les pépiniéristes à mettre en place la conduite hors sol, dans des serres insect-proof pour se prémunir contre les vecteurs de maladies qui pourraient venir du sol et des airs. Autre piste, diversifier l’utilisation des porte-greffes existants et inscrire de nouveaux porte-greffes permettant de contrôler les contaminations par le court noué et adaptés aux environnements contraignants (sécheresse, chlorose). Il faut savoir que la plupart des porte-greffes utilisés aujourd’hui datent d’après la crise phylloxérique bien qu’il y ait eu dans les années 2000 une dynamique avec des avancées majeures sur la connaissance de la diversité génétique, le déterminisme génétique et les méthodes de sélection.
Une nouvelle architecture du pied de vigne (contre l’esca)
Dans le cadre du projet Euréka (voir plus bas), plusieurs techniques préventives contre les maladies du bois sont testées et notamment des techniques de greffage et de taille. On est tout simplement en train de mettre au point une nouvelle architecture du pied de vigne comme en son temps, Pierre Viala avait eu l’idée de remplacer les racines sensibles au phylloxera par des racines tolérantes. L’enjeu est aujourd’hui de savoir s’il est possible de remplacer le tronc sensible aux maladies du bois, par un tronc tolérant. Les chercheurs de ce programme tentent pour cela d’intercaler un segment de Vitis sylvestris (vigne sauvage tolérante aux maladies du bois) entre le porte-greffe et le greffon.
Le projet Euréka s’est porté sur les maladies du bois de la vigne impliquant tous les acteurs de la filière de la vigne. Il a été initié par Christophe Bertsch (Université de Haute Alsace) en association avec des viticulteurs d’Alsace (AVA), le CIVA, le Lycée Agricole de Rouffach, l’IFV, le pépinière Hébinger (inventeur de la greffe F2) et l’Institut technologique de Karlsruhe (KIT).
Les 3 approches du projet Euréka pour lutter contre les maladies du bois
- L’approche curative innovante via des techniques d’endothérapie végétale biochimique applicable à différents pathogènes de façon ciblée et évitant une dispersion aérienne peu respectueuse de l’environnement
- L’approche préventive simple qui repense l’architecture du pied de vigne à l’instar de l’utilisation du porte-greffe pour lutter contre le phylloxéra
- L’étude de l’impact du greffage et du rajeunissement qui permettra de renforcer les approches curatives et préventives