Le Beaujolais nouveau 2013 est arrivé aussi surement que l’automne avant l’hiver, le 21 novembre (le troisième jeudi du mois, déblocage à zéro heure comme d’hab) promu top modèle d’une affriolante fashion week du primeur et couronnée par un immense feu d’artifice sur Lyon. Pas de doute, la nouvelle collection automne 2013 s’est parée d’un Beaujolais 2013 structurés, gouleyant, fruité et dotés d’une belle complexité aromatique… Un Beaujolais glamour ! Son but, essayer de séduire 30 millions de contacts (dixit l’agence de communication Havas 360). Et s’il fallait filer d’avantage la métaphore, en bonus, les organisateurs se sont offert un concours de miss Mademoiselle Beaujolais Nouveau !
Ce croquant du fruit mûr
Alors comment le décrire ? En faisant appel aux heureux spécialistes qui l’ont goûté en professionnels : nez plaisant de fruits rouges (groseille, grenadine) et de pivoine ; une bouche souple, ronde et fraiche. Pour certains, une couleur soutenue, un nez intense de myrtille et de cerise, et ce supplément de longueur et d’équilibre ; ce croquant du fruit mûr qui décuple le plaisir ont-ils pu dire lors du XIIIe trophée Lyon Beaujolais nouveau qui précédait de quelques jours, sa sortie. Enfin, version plus accrocheuse : robe étincelante d’une couleur rouge pourpre avec des reflets violacés. Une jolie ronde de petits fruits rouges avec des senteurs exquises de framboise, groseille et fraise des bois ! Au palais, un fruité croquant, friand et gourmand qui se prolonge délicieusement… un Beaujolais Primeur 2013 éclatant ! Une belle envolée que l’on doit à Georges Duboeuf (qui représente à lui seul, 20 % du Beaujolais) décrivant son Beaujolais nouveau 2013 Sélection Georges Duboeuf (6,37 €).
Business as usual
En backstage, business as usual. L’interprofession (Inter-Beaujolais) affiche ses chiffres : des volumes de l’ordre de 700 000 hl* contre une récolte de 508 000 hl l’année précédente en chute alors de 40 % avec pour conséquence, une envolée des prix. Malgré une mauvaise météo 2013, un printemps pourri et une maturité particulièrement tardive (mais des raisins sains avec une belle maturité), la récolte commencée le 24 septembre n’a pas été aussi catastrophique qu’en 2012. Quant à la production de Beaujolais nouveau 2013 (62e édition), vin issu comme tous les autres Beaujolais rouges du gamay noir à jus blanc produit dans les AOC Beaujolais et Beaujolais-Villages, elle devrait être supérieure à 2012. Celle-ci s’élevait à 235 000 hl, soit plus de 32 millions de bouteilles de Beaujolais nouveaux. C’est un peu plus d’un tiers de la production totale du vignoble ; les deux autres tiers restant étant les Beaujolais et Beaujolais-villages non vinifiés en vin nouveau, ainsi que les dix crus du Beaujolais (Brouilly, Chiroubles, Chénas, Côte de Brouilly, Fleurie, Juliénas, Morgon, Moulin à vent, Régnié, Saint-Amour).
*Pour une récolte en année moyenne, de 900 000 hl.
Un rendez-vous planétaire
Le prix du Beaujolais nouveau se situe cette année de 4 à 6 € (et un cœur de marché entre 4,50 et 5,50 €). Et au comptoir, c’est au bon cœur des bistrotiers. Ils étaient plus de 200 bistrots en France et dans le monde, Paris, Lyon, Villefranche, Munich, Londres, Chicago, Brooklyn… à fêter le Beaujolais Nouveau, l’unique grande fête populaire internationale dédiée au vin. Mais auparavant, elle fut ouverte par la fête des Sarmentelles à Beaujeu dans le Rhône, capitale du Beaujolais et sa traditionnelle mise en perce du tonneau, le coup d’envoi de l’ouverture des bouteilles en France et dans le monde. En 2012, le Beaujolais nouveau s’était massivement exporté à 15 millions de bouteilles (presque une bouteille sur deux) le consacrant comme l’un des leaders du vignoble français à l’export. Il doit sa popularité internationale au négociant Georges Duboeuf. 110 pays dans le monde le réclament chaque année dont le Japon qui a lui seul en avale près de 9 millions de bouteilles grâce à un énorme battage médiatique* (le chic français à 20 € la bouteille !). Il est vrai que les Japonais apprécient fort ce coté rituel (chaque année à la même date) et qu’ils sont, par le décalage horaire (avec une dérogation de 8 h), les premiers au monde à le déguster. Ils sont suivis de loin par les Etats-Unis (2,2 millions de bouteilles) et l’Allemagne (720 000), ces trois pays représentant les principaux clients du Beaujolais nouveau. Et en ligne de mire, l’Asie et principalement la Chine, la Corée et le Vietnam.
*L’image chaque année fait le tour du monde. Aux sources d’eau chaude d’Hakone, proche du Mont Fuji, à l’ouest de Tokyo, pour célébrer l’arrivée du Beaujolais nouveau, les visiteurs peuvent se baigner dans une piscine où a été versé ce vin (c’est bon pour la peau !).
La reconquête
La tendance depuis quelques années est à la baisse malgré le lancement d’un Beaujolais nouveau rosé en 2006. Il faut se rappeler que dans les années 1990, on écoulait en France et dans le monde 60 millions de bouteilles, une époque où sans vergogne, on faisait pisser la vigne. Pour atteindre de telles ventes, le Beaujolais nouveau fut porté à ses sommets par un négociant éleveur de génie, Georges Duboeuf, surnommé à juste titre le roi du Beaujolais (derrière lui 400 vignerons et une vingtaine de coopératives). Il reçut le soutien de nombreux producteurs, journalistes, hommes de lettres, gens du spectacle, publicitaires et politiques. Mais pour quel résultat ! Un vin qui très vite n’eut plus rien à voir avec son cépage (et si peu avec son terroir et son millésime !). Pire, il brouillait l’image des autres Beaujolais et surtout de ses 10 crus prestigieux. Dans bien des cas il fut chaptalisé, maquillé aux levures, dopé aux enzymes pour le formater et accélérer son processus de vinification. Résultat un naufrage dans une mer de Beaujolais et l’image d’un vin industriel ponctué de scandales à répétition et de tromperie sur la marchandise (avec de retentissants procès).
Le fameux goût de banane
Pire, ces fameux arômes fermentaires de banane, de griotte, de cassis, de cerise écrasée… étaient attendus par tous mais que chacun s’empressait à la première gorgée de brocarder.Et pourtant le gamay est un cépage exceptionnel apte à donner à ses vins tout juste faits, fruits et fraîcheur. Ce fameux goût de banane (à peine détectable par une personne sur dix) est du à une levure baptisée 71 B. C’est elle qui favorise l’expression des arômes, tout particulièrement des esthers, comme l’acétate d’isoamyde (ce goût de banane) conséquence de la macération carbonique utilisée dans l’élaboration de ce vin primeur. Ainsi peut-on trouver une année, un goût de banane, et la vendange suivante, un goût de bonbon anglais. Dans le Beaujolais, les vignerons utilisent désormais d’autres souches de levures, sélectionnées dans leur terroir, qui donnent des arômes de fruits rouges, qu’il s’agisse de levures indigènes ou de levures importées.
On contrôle le paradis
Du Beaujolais nouveau, Hugh Johnson écrivain britannique et expert en vins en a dit que c’était plus un évènement qu’une boisson. Le mot est un peu dur mais il y a du vrai. Heureusement, il est plutôt bon cette année et notamment les Beaujolais villages nouveaux qui offrent des vins bien mieux structurés. Car pour son image et depuis quelques années, la profession a réagi en essayant de revaloriser sa production. Sans compter les campagnes d’arrachage (on est passé en quinze ans, de 25 000 à 17 000 ha), il y eut une modification du cahier des charges pour limiter à 52 hl/ha la production du paradis, nom donné en Beaujolais au premier jus issu du pressurage (c’est lui qui révèle les premiers arômes du futur Beaujolais). Ensuite, pour chaque vigneron, pas plus de la moitié de sa récolte consacrée au Beaujolais nouveau. Il faut savoir que l’hectare ici vaut environ 15 000 € soit 6 fois moins que dans les crus. Comment alors orienter les meilleurs terroirs vers une production de qualité ? Les grandes maisons de Bourgogne ne s’y sont pas trompées. Elles investissent à tour de bras en Beaujolais, vignoble il est vrai, aux marches de la Bourgogne*(1) et puis, le gamay*(2) n’est-il pas le descendant direct du pinot noir ?
*(1) Le sait-on suffisamment ? Le vignoble du Beaujolais est légalement rattaché au vignoble de Bourgogne par un jugement du 29 avril 1930 du tribunal de Dijon. Il l’est également en pratique puisque le négoce de Bourgogne est le plus gros acheteur des vins du Beaujolais au point que la majorité des représentants du négoce à l’Inter-Beaujolais sont des bourguignons. Mais quant à la fusion des interprofessions, elle est loin d’être à l’ordre du jour.
*(2) Le gamay serait issu du croisement entre le gouais, cépage blanc aujourd’hui presque disparu et le pinot noir.