Champagne 2019, tout semble au beau fixe : des vendanges exceptionnelles même si le volume de 10 200 kg/ha de raisin est légèrement en baisse par rapport à 2017 et 2018*. De plus, la réserve (constituée de vins des années antérieures permettant de compenser d’éventuelles récoltes déficitaires) est presque au maximum autorisé de 8000 kg/ha. Et pourtant, quelques sujets d’inquiétudes pour la filière ! D’abord, la dérégulation des plantations prévue par l’UE en 2030 avec les graves conséquences qu’elle pourrait entraîner. Ensuite, une préoccupation persistante chez les vignerons, les insurmontables problèmes financiers que pose la transmission du foncier en raison du prix astronomique de la terre en Champagne. Enfin, demande récurente des champenois : simplifier la règlementation administrative concernant l’hébergement des vendangeurs (100 000 personnes pour 3 semaines de travail par an). Il faudrait juste l’ajuster aux normes moins contraignantes du code du travail.
* Le principe retenu par l’INAO est celui d’un rendement annuel de 10 400 kg/ha. Chaque année, ce rendement de base peut être minoré ou majoré par celui-ci en fonction de la qualité et du volume de la récolte. Les quantités classées en appellation ne peuvent toutefois pas excéder le maximum de 15 500 kg/ha. Rappelons que c’est in fine, le comité interprofessionnel du vin de Champagne (structure cogérée par le Syndicat Général des Vignerons de Champagne (SGV) et l’Union des Maisons de Champagne (UMC) qui fixe chaque année ce rendement annuel.
2019 en Champagne, encore une année exceptionnelle et pourtant !
Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons (SGV)* de la Champagne (élu en 2016). Agé de 44 ans et père de trois enfants, il est viticulteur à Le Breuil, sur une exploitation de 5 ha. Son objectif est en quelque sorte de désacraliser la consommation du champagne, avec une signature claire : « Le champagne, réservé à toutes les occasions » (Photo FC)
Ici comme ailleurs le réchauffement climatique est une réalité. En 30 ans, la température moyenne a augmenté de 1,1° et c’est plutôt bénéfique pour la qualité des champagnes. Mais, quelle année ! épisodes de gel de printemps, épisodes caniculaires, notamment en juin et en juillet provoquant de l’échaudage (plus de 10 % du potentiel de récolte a brûlé) et record absolu en Champagne avec une température de 42,9° enregistrée le 25 juillet. Heureusement, le climat fut chaud et ensoleillé en août et en septembre avec des nuits fraîches notamment à l’approche des vendanges. Résultat, une maturation qualifiée d’exceptionnelle, des moûts très équilibrés entre acidité, taux de sucre et concentration aromatique…, de très bon augure pour les futures cuvées.
Une légère baisse en volume mais un chiffre d’affaire en belle progression
L’année 2019 offre l’assurance de bons chiffres mais dans un contexte économique incertain (tensions commerciales entre les USA et la Chine, le Brexit). De plus, la filière aurait de quoi se réjouir puisque, contrairement aux vins tranquilles, le Champagne échappe aux surtaxes américaines dues aux subventions européennes accordées à Airbus. Si les ventes ont baissé en volume (-1,4 %) sur un an avec 302,7 millions de bouteilles, le chiffre d’affaires a progressé de (+2,5 %) à 4,9 milliards d’€. Cette évolution s’explique par le développement de l’exportation ainsi que par une demande de plus en plus importante pour des cuvées spéciales, des millésimes, des rosés… Autre sujet de satisfaction : 20 % du vignoble est sous certification environnementale dont 15 % certifié en Viticulture Durable.
Le Champagne et ses 3 points d’inquiétude pour l’avenir
1/Dérégulation des plantations en 2030 et ses conséquences.
Pourtant le SGV (Syndicat Général des Vignerons de Champagne)* pointe quelques sujets d’inquiétude dont une grave menace : la perspective de dérégulation des plantations en 2030, c’est-à-dire demain. Des surfaces supplémentaires pourraient alors être plantées avec l’agrandissement de l’aire entrainant les risques d’un déséquilibre des marchés (surproduction, chutes des revenus, perte de qualité…). Les nouvelles surfaces classées dans l’aire de l’appellation Champagne deviendraient libres à la plantation. A titre de rappel, les plantations de vignes sont régulées en Europe depuis plus de 50 ans. Mais les instances européennes prévoient en 2030 de suspendre ce mécanisme de régulation qu’on appelle « autorisation de plantations ». A défaut du maintien de ce mécanisme dans le cadre de la PAC, alors la filière champenoise et le SGV ont l’intention d’aller à la confrontation en suspendant le chantier de délimitation.
*Le SGV (Syndicat Général des Vignerons) est la bannière collective Champagne de Vignerons. Elle regroupe environ 4300 vignerons et coopératives de Champagne. Elle a été créée en 2001 par le Syndicat Général des Vignerons de la Champagne pour développer la notoriété des champagnes produits par le vignoble. C’est la seule bannière collective portée par un syndicat viticole (Photo FC)
2/Comment mieux faciliter la transmission du foncier ?
Faudrait-il également ajouter les énormes difficultés que rencontrent les vignerons dans la transmission du foncier en raison de ses prix très élevés. Il a ainsi augmenté de 250 % entre 1991 et 2018. Il atteint aujourd’hui une valeur moyenne de près de 1,2 million d’€/ha. D’où l’appel lancé au Parlement pour alléger la fiscalité et faciliter la transmission comme cela se pratique en Allemagne et en Italie. La fiscalité sur les transmissions est un problème majeur. Le coût très élevé des transmissions a pour conséquence de morceler de plus en plus le vignoble quand l’exploitant en place doit racheter les parts familiales ou qu’ils souhaitent tout simplement s’agrandir (heureusement, beaucoup de sociétés se sont créées en famille).
Sur les 16 055 vigneron, 9175 possèdent moins d’1 ha
Le simple tableau de l’évolution des effectifs de récoltants par tranches de surface exploitée (hors négoce) montre qu’en 2018, 9175 d’entre eux possèdent moins d’un ha (Ils sont 4871 à détenir entre 1 à 5 ha et, seulement 1836 à posséder plus de 5 ha).
Que faire donc pour faciliter les transmissions ?
Une demande a été faite au gouvernement et au Parlement pour faciliter les transmissions des exploitations dans un cadre familial par une exonération de 80 % des droits de succession. Ils doivent concerner les biens loués pendant au moins 18 ans, avec un plafond de 20 m d’€. C’est d’ailleurs ce qui se pratique en Allemagne mais aussi en Italie et en Suisse.
3/Simplification administrative pour l’hébergement des vendangeurs
Enfin, ne passons pas sous silence les difficultés que rencontrent les vignerons dans le recrutement de vendangeurs. Pour eux, il faut un assouplissement des normes en matière d’hébergement des saisonniers (pour rappel, la Champagne a besoin chaque année de 100 000 vendangeurs pour une durée en moyenne de 3 semaines). Pour eux, le SGV demande un assouplissement des normes actuelles d’hébergement. Il faut aujourd’hui, 44 m2 pour 6 personnes. Ainsi, pour loger 30 vendangeurs, 6 pièces sont nécessaires totalisant 220 m2 et cela pour 3 semaines (les normes sont moins contraignantes dans le code du travail). Résultat, seulement 10 % des vendangeurs sont logés sur place. D’ailleurs, le recours à la main-d’œuvre occasionnelle est vital pour la filière. A côté des vendangeurs, la Champagne a besoin de 15 000 salariés permanents et 29 000 contrats saisonniers pour un travail physique et relativement difficile (taille, tirage des bois, relevage, etc.).
A la rencontre de 4 vignerons indépendants (sur 4300) sous la bannière Champagne de Vignerons
A eux tous, ils pèsent pour 27 % des ventes totales de champagne (82,5 millions de bouteilles), 42,9 % des ventes en France (63,1 millions de bouteilles), 15,6 % des ventes au sein de l’UE (11,8 millions de bouteilles) et 9,7 % des ventes export hors UE soit 7, 6 millions de bouteilles.