Le cœur du champagne, c’est la bulle. Ah, ces bulles dans lesquelles voyagent si bien Gérard Liger-Belair ! Elles sont faites de 99 % de CO2 dissous et d’arômes sachant qu’une bouteille de 75 cl contient 5 litres de CO2. Elles naissent d’un vin parfait, le Champagne alors que sa source de bullage est l’imperfection. Celle-ci est faite de ces microscopiques impuretés collées à la paroi du verre, souvent déposées par le torchon qui les essuie. Ce sont elles qui permettent à des molécules de dioxyde de carbone de fusionner et de former des bulles. Donc, sans ces impuretés, pas de bulle et elles sont 80 millions dans une bouteille et environ 2 millions dans une flûte. Le choix entre coupe et flûte a une influence primordiale sur la grosseur de ces bulles. On le sait, les bulles grossissent lorsqu’elles remontent dans le verre. Plus leur parcours est long plus elles finissent grosses. Elles seront donc plus grosses dans une flûte que dans une coupe. Pour être précis, une flûte de 10 cm de haut engendrera des bulles d’un millimètre de diamètre (et une flûte de 20 à 30 cm, des bulles de 2 ou 3 mm). Pour la coupe, le dégazage est accéléré, et les bulles restent plus petites.
La coupe érotique
Mais pour les professionnels, ni la coupe ni la flûte ne leur conviennent. D’abord pour eux, exit la coupe reconnue comme trop large pour conserver les arômes du Champagne. Lui resterait-il son seul coté érotique qui veut qu’elle ait été inventée en prenant pour copie, le moulage du sein gauche de la marquise de Pompadour ! Une chromatographie en phase gazeuse a pu montrer qu’une coupe perd son CO2 au moins un tiers de fois plus vite que la flûte mais pour sa défense, la coupe ne génère-t-elle pas plus de fines bulles ?
Les fines bulles
On l’a constaté, moins il y a de gaz (la concentration de CO2 est déterminée par rapport au sucre), plus les bulles sont petites et celles-ci sont plus convoitées que les grosses, question d’esthétique et d’arôme. C’est le cas d’ailleurs pour les grands Champagne millésimés. En plus, elles ont tendance à monter plus lentement. Elles n’ont par contre pas d’incidence sur le goût mais seulement sur la texture, la sensation en bouche par la projection de leurs gouttelettes à plus grande vitesse au moment où la coupe est portée aux lèvres.
Gérard Liger-Belair, l’homme des bulles
Toutes ces constatations ont été fondées sur la science grâce à une technique de visualisation laser initiée par Gérard Liger-Belair le co-auteur de Voyage au cœur d’une bulle de champagne chez Odile Jacob. Gérard Liger-Belair est professeur de physique. Il codirige le laboratoire d’œnologie et chimie appliquée à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et a rejoint le Groupe de Spectrométrie Moléculaire et Atmosphérique, au sein duquel il a créé l’équipe Effervescence. Son titre est d’être le seul chercheur au monde à travailler sur les bulles. En collaboration avec Moët & Chandon, au moyen d’un laser et d’un spectroscope, il a décrit, pour la première fois, les propriétés des bulles de champagne : leur naissance, leur comportement, leur grosseur, leur vitesse de remontée, et finalement leur éclatement qui libère des molécules aromatiques.
Champagne, de la flûte… au verre à vin !
Quant à la flûte, les uns disent que par son style élancé, elle sait le mieux exhiber le Champagne, que le volume de ses bulles est proportionnel à sa taille et que la hauteur de sa jambe (entre 100 et 125 mm) est la garantie de conserver une bonne température (la flûtes contient entre 7 et 26,5 cl). Mais d’autres suggèrent que son étroitesse (un diamètre qui dépasse rarement les 60 mm) est un handicap car les bulles en chatouillant le nez, vont masquer les arômes. Qu’en dit alors Riedel, le premier fabricant au monde de verres à vin : pour des Champagne aériens et vifs, la flûte reste le bon outil… pour les Blancs de blancs, celle-ci doit être de grand contenant afin que le breuvage puisse s’épanouir et que pour les Champagne Blancs de noirs ou rosés, et en règle générale, d’ailleurs, pour tous les Champagne plus vineux, il est toutefois préférable, si l’on veut capter au maximum les arômes, d’utiliser des verres à vin.
Le verre ballon de rugby
Dans cette guerre à bulle, écoutons ce qu’en dit le Suédois Andreas Larsson, meilleur sommelier de Suède en 2001, meilleur sommelier d’Europe en 2004 et meilleur sommelier du monde en 2007. Il est aujourd’hui chef sommelier au restaurant PM & Vänner à Växjö, dans le sud de la Suède : le verre optimal serait une sorte de flûte au corps légèrement plus large et une ouverture étroite pour mettre en valeur le goût et les arômes. Si on le comprend bien, il faudrait un verre qui ressemble à un ballon de rugby (ouf ! La plupart des verriers ont déjà cette forme de verre à leur catalogue). Mais pas étonnant qu’un gaillard comme Andreas Larsson, taillé comme un trois quart de rugby, ait eu cette idée !