Le Furmint, peu de cépage au monde porte si haut un si grand vin, le tokaj (Tokaji étant le vin produit dans la région). Un vin indiscutablement mythique, vinum regum, rex vinorum (vin des rois et roi des vins) ! Le furmint, dont le nom viendrait du vieux français forment (car sa couleur jaune rappelle celle du froment) est sans conteste l’un des plus grands cépages que la terre ait porté. Il est originaire de Hongrie ou du Burgenland en Autriche où il est appelé zapfner et mosler en Styrie. Son implantation couvre l’Europe centrale et plus précisément le bassin des Carpates où il prend le nom de Šipon (Slovénie et nord de la Croatie), de Moslavac (Croatie).
On connaît maintenant ses deux parents
Les analyses ADN assurent qu’il est l’un des nombreux descendants du gouais blanc (gwäss en Suisse ou heunisch en Autriche) père d’au moins 80 variétés européennes. C’est à l’ampélographe suisse, José Vouillamoz, biologiste, spécialisé dans l’étude de l’ADN de la vigne (il est d’ailleurs surnommé le généalogiste de la vigne) qui fut le premier à annoncer le lien entre le furmint et le gouais. Il parle du gouais comme d’un cépage fondateur qui a donné naissance (en se croisant plusieurs fois au pinot noir) au chardonnay.
Le Casanova des cépages
Bien d’autres liaisons lui sont attribuées donnant des cépages aussi réputés que le gamay, le riesling, la muscadelle… jusqu’au très hongrois hárslevelü. Il fut tellement fécond que José Vouillamoz n’hésite pas à le baptiser de Casanova des cépages. Mais dans cette longue liste de cépages, fruit du gouais, José Vouillamoz écarte d’un trait d’ADN, l’altesse, étonnant cépage de Savoie que le célèbre ampélographe français, Pierre Galet eut tendance à rapprocher du furmint. Foin donc de ses origines hongroises, voire orientales. Elles sont locales jusqu’à son nom qui viendrait du Coteau des altesses, des vignes en terrasses où il était cultivé au XVIe siècle, à Lucey sur les flancs de la montagne du Chat (vignoble qui prendra le nom de Marestel en 1563).
On connaissait donc le père du furmint, le gouais blanc mais quant à l’autre parent, mystère ! En février 2017, le Dr Zoltán Bihari, à la tête de l’Institut de recherche de viticulture et d’oenologie du Tokaj à Tarcal en Hongrie révélait le nom du deuxième parent, un parfait inconnu, l’alba imputotato originaire de Roumanie.
*José Vouillamoz a publié avec Jancis Robinson, Julia Harding : Wine Grapes au sous-titre explicite : A Complete Guide to 1368 Vine Varieties, Including Their Origins and Flavour.
Le furmint au cœur du vignoble hongrois
Dans nul autre pays que la Hongrie, il se sent aussi bien. Sur un vignoble de 68 000 ha, le furmint occupe 8,8 % des 46 000 ha des vignes blanches (la troisième place après le cserszegi fűszeres (fűszeres =épicé), un hybride de la famille du traminer (proche du gewürztraminer), à égalité avec l’olaszrizling (welschriesling). Mais le cœur du furmint bat plus fort dans le tokaj où il domine l’ensemble des cépages à hauteur de 66 % sur les 5729 ha du vignoble. Nul doute que le furmint dans les assemblages du Tokaji Aszú soit la colonne vertébrale de ce vin légendaire apportant une fraîcheur et minéralité si particulières ! Il se place loin devant les autres cépages autorisés dont le hárslevelű (20 %), nom qui par sa ressemblance signifie feuille de tilleul. Mais d’autres cépages également viennent apporter au tokaji un supplément d’âme : sárgamuskotály (muscat blanc à petits grains), zéta, kövérszőlő et kabar. Lorsqu’on demande aujourd’hui aux plus gros producteurs du Tokaj, quels cépages planifient-ils de replanter, ils sont 82 % à choisir le furmint et seulement 13 % pour le hárslevelű. Verra-t-on alors de plus en plus du Tokaji 100 % furmint ? Autre préoccupation, le réchauffement climatique qui entraîne souvent une maturité du raisin plus précoce. Si ce phénomène est favorable à la production de vins blancs secs, il rend plus difficile l’élaboration des liquoreux traditionnels à partir des grains Aszú (désseché, confit) la rendant possible que quelques années par décennie.
*Le Tokaji Aszú ne représente que 3 à 4 % de la production du Tokaj.
Tokaj et furmint, quelle symbiose !
Un constat s’impose, le furmint ne peut pleinement s’épanouir que dans la région de Tokaj-hegyalja (piémont en hongrois), inscrite depuis 2002 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Cette petite région viticole se situe le long de la rivière Bodrog et au confluent des rivières Tisza et Bodrog (confins nord-est de la Hongrie) où la Grande Plaine (Alföld) et le massif volcanique de Zemplén (massif Eperjes-Tokaj), partagé entre la Hongrie et la Slovaquie, se touchent. La Slovaquie revendique à juste titre le prestige de produire elle aussi le tokaj, la zone d’appellation s’étendant en effet au-delà des frontières actuelles de la Hongrie. Un accord signé en 2004 permet aux viticulteurs slovaques de cette petite région de 565 ha de produire du tokaj à condition d’en respecter les mêmes standards de qualité que ceux pratiqués par le voisin hongrois.
Tokaj et ses 27 villes et villages
Si Tokaj a donné son nom à ce vin mythique, le Tokaji Aszú (première appellation au monde reconnue dès 1737), cette région viticole s’étend également autour des villes et des villages d’Abaújszántó, Bekecs, Bodrogkeresztúr, Bodrogkisfalud, Bodrogolaszi, Erdőbénye, Erdőhorváti, Golop, Hercegkút, Legyesbénye, Makkoshotyka, Mád, Mezőzombor, Monok, Olaszliszka, Rátka, Sárazsadány, Sárospatak, Sátoraljaújhely, Szegi, Szegilong, Szerencs, Tarcal, Tállya, Tokaj, Tolcsva, Vámosújfalu.
Tout ici semble magnifier le furmint
Tout ici semble se combiner pour magnifier le furmint dont la capacité de botrytisation, de même que celle de garder les acides, est remarquable. Il aime ce sol volcanique constitué de minéraux très variés (andésite de l’époque miocène, dacite et turf rhyolitique riche en oligo-éléments) et recouvert d’une couche de lœss que le vent dépose depuis des millénaires. Il apprécie le climat marqué par peu de précipitations, des étés chauds et secs, des hivers froids et surtout, des automnes longs et sans pluie, ce qui est idéal pour un cépage à maturation tardive. La proximité des deux rivières provoque la formation de brouillards matinaux suivis par des phases de chaleur et de vent, conditions indispensables pour l’apparition de la pourriture noble (Botrytis cinerea) qui permet aux grains de se concentrer en sucres. Commençant tard, les vendanges durent jusqu’à décembre. Le raisin a alors atteint son degré maximum en sucres et en parfums. Les grains sont comme ratatinés, déshydratés, d’où le nom aszú (desséché, confit). Le moût obtenu est stocké dès le début de la fermentation dans de petits fûts entreposés dans ces fameuses caves recouvertes d’une pellicule de champignon noir (cladosporium cellare) qui va favoriser le mûrissement du vin. Seules les caves basses, dit-on, font du bon tokay. Véritables trésors, ces caves de Sárospatak , de Tokaj, de Mád et de Tolcsva, creusées du XIIIe au XVIIe siècle, servirent également de refuge lors des incursions turques!
Complexité aromatique, acidité et longévité
On dit du furmint qu’il a la solide structure d’un chardonnay, le fruité du chenin blanc, l’acidité et la minéralité d’un pinot gris ou d’un riesling. Lui sont associés 3 qualités : complexité aromatique, acidité et longévité. Il peut produire avec autant de bonheur, des vins secs reconnaissables à leurs arômes de zestes de citron vert, de coing, de pomme… mais quel casse-tête pour bien le vinifier. Attention à son acidité perçante lorsqu’il n’est pas récolté à pleine maturité ! Bien vinifié, il donne alors des vins puissants jusqu’à 14°, riche, complexe avec un énorme potentiel pour bien vieillir. En vin doux (Édes), il se retrouve dans le Szamorodni ou bien dans le légendaire liquoreux Tokaji aszú. Lorsqu’il est atteint de botrytis, il développe des arômes d’abricot, de marmelade d’orange, de massepain qui vont évoluer vers des arômes de noix, de thé noir, de tabac, voire de cannelle ou de cardamone.
Les différences entre le Tokaji Aszú et le Tokaji Édes Szamorodni
(Édes =doux)
D’abord, au moment des vendanges, les grains destinés aux vins Szamorodni sont cueillis par grappes entières contenant un grand nombre de grains botrytisés alors que ceux destinés au Tokaji Aszú sont cueillis grain par grain. La vinification est également différente. Pour le Szamorodni, on presse les grappes avant fermentation à l’instar du Sauternes ou du Beerenauslesen mais souvent avec égrappage et macération du moût avec la peau des raisins. Pour les Tokaji Aszú, les grains sont déposés dans de grandes cuves (ou à des petits fûts de 130 litres environ) avant d’être incorporées à un moût en fermentation ou à un vin nouveau. Leur extrême concentration et leur consistance demande une méthode de vinification spécifique en mettant notamment le moût en contact avec la peau des raisins (comme pour les vins rouges). Résultat, une incroyable complexité du Tokaji Aszú ! Les vins Édes (doux) Szamorodni quant à eux sont d’un style plus léger, marqués par des notes de Botrytis.
Aujourd’hui, seuls les 5 et 6 puttonyos sont autorisés
Les grains Aszú, ces raisins déshydratés sont récoltés dans des paniers* nommés Puttonys, contenant de 20 à 25 litres. En se compactant, ces raisins forment alors une pâte très sucrée, appelée Aszú. Ainsi, plus le nombre de puttonyos est élevé dans la cuve ou le fût, plus le vin sera riche en sucre (jusqu’à 6 puttonyos, rarement 7). Au delà, ce sera l’Essencia non considéré comme un vin (plutôt un vin avec une dérogation européenne). Attention, depuis 2013, il n’existe plus que le Tokaji de 5 et 6 puttonyos, les 3 et 4 puttonyos se rangeant maintenant dans des appellations génériques comme Tokaji Vendanges Tardives ou pour la plupart dans le Szamorodni contenant entre 60 et 120 g/l de sucre résiduel.
*Aujourd’hui, on utilise plutôt des bacs en plastique contenant 25 l en proportion en rapport avec le fût de Gönc (136 l).
Le Tokaji Száraz (Sec) Szamorodni, un air de Jerez ou de Vin du Jura
A noter également un Tokaji Száraz (Sec) Szamorodni comparable à certains vins du Jura ou de Jerez. Il est produit à partir de grappes très mûres et se caractérise par un élevage long en fût, en partie sous un voile de levure ou flor (vieillissement biologique). Grâce à ce voile, le vin acquiert une incroyable fraîcheur (le caractère du rancio est du à l’oxydation des raisins de vendange tardive). Enfin, il existe aussi un Tokaji Vendanges tardives. Les grains passerillés et botrytisés sont triés et vinifiés en cuves inox avec obligation de contenir au moins 100 g de sucre résiduel par litre.
Le furmint, rare hors de ses terres hongroises
En dehors de la Hongrie, peu de furmint dans le monde, si ce n’est en Autriche, dans le Burgenland (région frontalière avec la Hongrie), et dans la petite cité viticole de Rust qui borde le lac de Neusiedl. On le trouve aussi en Slovénie où il est appelé Šipon, principalement en Basse-Styrie, le long de la rivière Podravina, ainsi qu’en Croatie. Il est de plus produit en petite quantité en Afrique du Sud, dans le Swartland, le Pays noir, au nord du Cap, eldorado des nouveaux vignerons sud-africains. Enfin, la Californie, qui s’essaye à tout, expérimente quelques acres dans le comté de Sonoma (Russian River AVA).
Les principaux domaines du furmint en Hongrie
(Pince=Cave). Le nom du domaine (ou de la cave) est suivi entre parenthèses du nom des villes et des villages.
SOMLÓ : Barcza Bálint/ Barnabás Pince/ Clements Birtok/ Fekete Pince/ Györgykovács Imre/ Hegedűs Szabó Pince/ Hollóvár/ Kancellár Pince/ Kolonics Károly/ Családi Pincészete/ Kreinbacher Pince/ Somló Kincse/ Somlói Apátsági Pince/ Somlói Vándor/ Spiegelberg Kézműves Borpince/ Szalai Pince/ Tornai Pince/ Tóth Pince/ Dénes Hegybirtok (Ság-hegy)
BADACSONY, SZENTGYÖRGY-HEGY, KÖVESKÁL : Laposa Borbirtok (Badacsonytomaj)/ Gilvesy Pincészet (Szent György-hegy)/ Pálffy Pince (Köveskál)
BALATONFÜRED-CSOPAK : Jásdi Pince (Csopak)/ Koralevics Pince (Csopak)/ Petrányi Pince (Csopak)/ Szent Donát (Csopak)/ Skrabski Pincészet (Balatonudvari)
MÁTRA : H2 Pince (Nagyréde)/ Losonci Bálint (Gyöngyöspata)
EGER : Pók Tamás Pincéje (Erzsébet-völgy)/ Kovács Nimród Winery (Eger)/ Andrea (Egerszalók)
SOPRON : Weninger (Balf)
TOKAJ
- Árpád Hegy Winery (Szerencs)
- AZ Nektár (Sátoraljaújhely)
- Babits Winery (Tolcsva)
- Balassa István (Tokaj)
- Barta Winery (Mád)
- Béres Vineyards and Winery (Erdőbénye)
- Bodrog Winery (Bodrogkisfalud)
- Bott Winery (Bodrogkisfalud)
- Breitenbach Winery (Bodrogkisfalud)
- Chateau Dereszla (Bodrogkeresztúr)
- Demetervin (Mád)
- Demeter Zoltán (Tokaj)
- Disznókő Vineyard (Mezőzombor)
- Dobogó Winery (Tokaj)
- Dorogi Testvérek Winery (Tarcal)
- Ferdinánd Winery (Mád)
- Füleky Winery (Bodrogkeresztúr)
- Gizella Winery (Tokaj)
- Gróf Degenfeld Vineyard (Tarcal)
- Hímesudvar (Tokaj)
- Karádi és Berger (Erdőbénye)
- Kardos Vineyard ( Mád)
- Kerkaborum (Zala)
- Királyudvar (Tarcal)
- Lenkey Család Vineyard and Winery (Mád)
- Losonci Bálint (Gyöngyöspata)
- Majoros Birtok (Tarcal)
- Orosz Gábor (Mád)
- Orsolyák Attila (Tokaj)
- Pannon Tokaj (Tolcsva)
- Patricius Winery (Tokaj)
- Pálffy Winery (Köveskál)
- Royal Tokaj Winery (Mád)
- Szarka Winery (Mád)
- Szent Benedek Winery (Tokaj)
- Szent Tamás Vineyard and Winery ( Mád)
- Szepsy Winery (Mád)
- Szirmay Kúria (Tállya)
- Tokaj Hétszőlő Vineyard (Tokaj)
- Tokaj Kereskedőház (Tolcsva)
- Tokaj Kikelet (Tarcal)
- Tokaj Oremus Vineyard and Winery (Tolcsva)
- Tokaj Pendits (Abaújszántó)
- Tokaj Zöld Birtok (Tokaj)
- Vissy László (Erdőbénye)
Un grand merci à Gabriella Orosz, dégustatrice certifiée de Vinumregnum (Vins de Hongrie) qui a bien voulu relire cet article : contact@vinumregnum.fr