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Abbaye de Fontfroide, le vignoble et ses vins

Laure de Chevron Villette, propriétaire avec sa famille de l’abbaye de Fontfroide et du domaine viticole. Après avoir été avocate pendant 11 ans, elle est devenue vigneronne depuis 2004. Ici, face au chai du domaine à Saint-Julien de Septime, ancienne grange de l’abbaye. Photo © François Collombet

Tout à Fontfroide semble exceptionnel ! Cette abbaye d’abord, joyau le plus accompli de l’art cistercien ; son environnement, un lieu niché au creux d’un vallon sauvage où sourd une eau très froide (source froide, frons frigida en latin). Et puis, cette terre de Fontfroide au cœur du massif des Corbières qui depuis près de mille ans accueille la vigne. Les moines de l’abbaye (le travail de la vigne était dévolu aux moines convers) eurent « l’éternité » pour sélectionner les bons emplacements, les meilleures parcelles, les cépages les plus appropriés. Enfin, qui douterait un instant de la grande expertise des cisterciens pour les techniques de vinification (voir leurs frères de Cîteaux qui exploitèrent en Bourgogne ce qui est aujourd’hui, le Château du Clos de Vougeot). Quant’ à leurs vins, ils furent si appréciés qu’on les servait à Avignon à la table des Papes*. Il faut dire que Benoît XII, 197e pape, mort en 1342 fut un ancien Abbé de Fontfroide. Pas étonnant alors que Nicolas et Laure de Chevron Villette (Nicolas décédé en 2017) dont la famille de Laure est propriétaire de l’abbaye et du vignoble, aient donné à leurs cuvées cet esprit cistercien ne serait-ce que par le nom : Spiritualis, Deo Gratias, Ocellus (oculus, ouverture circulaire dans la pierre du cloître si remarquable à Fontfroide), Via Hominis ; des cuvées élaborées et élevées à l’ombre de l’abbaye, marquées par le fruit, la fraîcheur et la finesse.

*En fait, il s’agissait sans doute d’un vin doux (muté à l’alcool) qui pouvait donc voyager. Il était à base de grenache blanc et noir.

Abbaye de Fontfroide, les vins rouges à la dégustation : cuvées Spiritualis (syrah/mourvèdre) ; Deo Gratias (grenache/syrah) ; Ocellus (syrah/grenache/mourvèdre) ; Via Hominis (merlot/grenache/syrah) Photo © François Collombet

Fontfroide, un terroir doté d’une réelle fraîcheur

Depuis 1986, un important travail de restauration avait été entrepris par la replantation des vignes sur les mêmes parcelles exploitées autrefois. En 2004, Nicolas et Laure de Chevron Villette parachevaient la renaissance de ce vignoble si intimement lié à l’histoire de l’abbaye. De nouvelles parcelles viennent d’ailleurs d’être acquises sur les hauteurs du domaine pour des plantations de syrah destinées à la nouvelle cuvée Spiritualis. Aujourd’hui les vins de Fontfroide rassemblent 45 ha en AOP Corbières (26,20 ha) et IGP Pays d’Oc (18,80 ha) répartis à hauteur de 32 ha pour les rouges et rosés et une vingtaine d’ha pour les blancs. En rouge la syrah domine (près du tiers du domaine), avec le grenache noir (9,4 ha), le cinsault (2 ha), le merlot (3,6 ha), le petit verdot et le marselan. En blanc, chardonnay, muscat, roussanne, vermentino (ou rolle), marsanne, nielluciu et une curiosité, le caladoc (croisement entre le grenache noir et le malbec). La production moyenne totale est inférieure à 40 hl/ha.

Fontfroide, dernier rempart avant la Méditerranée

Le vignoble orienté nord-ouest s’étend sur les contreforts du Massif de Fontfroide, culminant à 256 m. C’est le dernier rempart avant la Méditerranée. On est à la lisière de la garrigue où pins, cistes et bruyères règnent sans partage. Associée à un relief particulièrement torturé et dans une zone ventée, cette orientation atténue fortement le caractère méditerranéen du climat et favorise les zones d’ombre. En été, la fraîcheur nocturne s’en trouve accentuée ainsi que le contraste thermique jour/nuit si important dans le processus de maturation des raisins.

Vue panoramique de l’abbaye de Fontfroide depuis la Croix. Le vignoble orienté nord-ouest s’étend sur les contreforts du Massif de Fontfroide, culminant à 256 m Photo © François Collombet

Que des atouts pour la vigne !

C’est donc un terroir qui jouit d’une réelle fraîcheur. Ainsi, les cépages rouges et blancs mûrissent plus lentement après avoir évité le stress de certains étés souvent caniculaires. Il s’en suit une maturité plutôt tardive entrainant le développement (maturité phénolique) d’arômes plus marqués qu’on retrouve dans les vins (un côté fruité plus intense). Les sols sablo-argileux non stressants, formés à partir de la roche mère de grès rose (exploitée pour la construction de l’abbaye), permettent d’amener sans heurts le raisin à de belles expressions grâce à une réserve hydrique suffisante, même en année sèche.

Les vins de Fontfroide rassemblent 45 ha en AOP Corbières et IGP Pays d’Oc répartis à hauteur de 32 ha pour les rouges et rosés et une vingtaine d’ha pour les blancs Photo © François Collombet

Le credo bio du domaine de Fontfroide

Avec tant d’atouts et à l’instar des moines de Fontfroide qui vivaient en communion avec la nature, le domaine en 2020 se voyait certifié Terra Vitis/Haute Valeur Environnementale 3 (HVE3). Plus d’insecticides mais une méthode de confusion sexuelle ; enherbement inter-rang et autour des parcelles pour favoriser la vie biologique, augmenter la porosité des sols et limiter l’érosion ; diversification des espèces végétales et animales (moutons, abeilles…), etc.

Fontfroide, parcelle de mourvèdre pas encore vendangée (fin septembre), au pied du château forteresse de Saint-Martin de Toques. Là, également, il a fallu parquer la parcelle contre l’invasion destructrice des sangliers. Photo © François Collombet

Laure de Chevron Villette, ancienne avocate, propriétaire et vigneronne des vins de Fontfroide

Au XIXe siècle, de 1858 à 1901, une communauté cistercienne revenue des incertitudes révolutionnaires reprit possession de l’abbaye. Elle installa son chai à Saint-Julien de Septime la plus ancienne et la plus proche « grange cistercienne » de Fontfroide (située à quelques minutes de l’abbaye). Son ambition était d’élaborer du vin de messe et des vins rouges plutôt de bonne réputation. Et c’est tout naturellement là, près du château de Saint-Julien de Septime (bientôt en restauration), qu’on trouve aujourd’hui la cave du domaine de Fontfroide (en partie enterrée).

Sur l’esplanade du chai, devant l’étendue des vignes nous attend Laure de Chevron Villette et son équipe. Elle est l’arrière-petite-fille de Madelaine et Gustave Fayet, acquéreurs de l’abbaye en 1908. Laure a exercé pendant 11 ans la profession d’avocat. A son arrivée à Fontfroide en 2004, elle se forma à la viticulture pour pouvoir conduire l’exploitation familiale, cumulant cette activité à celle de la gestion de l’abbaye.

Fontfroide, dans le chai de l’abbaye, aux côtés de Laure de Chevron Villette, de gauche à droite, Sébastien Vincent, le commercial et Loïc Delbourg, maître de chai des vins de l’abbaye. Photo © François Collombet

Loïc Delbourg, maître de chai, 2e génération de vigneron à l’abbaye de Fontfroide

Aujourd’hui, la cave a été entièrement rénovée et équipée d’un pressoir pneumatique à cage fermée, d’un groupe de froid et un égrappoir. Les cuves anciennes en béton ont la particularité d’être parfaitement isolées, permettant une bonne maîtrise des températures de fermentation. Elles ont été divisées pour vinifier par cépages et par parcelles. Cet ensemble est complété par une cuverie inox pour la vinification des blancs et des rosés. Les vinifications sont sous la responsabilité de Loic Delbourg, maitre de chai. Elles se font en rouge par macération en raisins égrappés et foulés. En blancs, après un ramassage du raisin avant le lever du soleil pour arriver en cave à une température entre 10 et 15° (afin de limiter l’oxydation), chardonnay, marsanne, grenache et vermentino sont pressés directement sans foulage. Roussanne et muscat, riches en précurseurs aromatiques, font l’objet quant ’à eux d’une macération pelliculaire identique à celle des rosés puis une fermentation à basse température. Les rosés sont la belle surprise du domaine. Les grenaches et certaines syrahs, ramassés la nuit subissent une macération pelliculaire dans le pressoir à cage fermée. Les cinsaults et syrahs sont eux pressurés directement.

Loïc Delbourg, maître de chai des vins de l’abbaye de Fontfroide. Il représente la deuxième génération de vignerons à l’abbaye Photo © François Collombet
Chai de l’abbaye de Fontfroide en pleine phase de vinification. Photo © François Collombet

Les médailles comme des « indulgences* » à la bonne conduite du domaine

Les vins de Fontfroide sont régulièrement récompensés lors des plus grands concours français et internationaux. Ils figurent très largement tous les ans dans les guides de référence. Du baume au cœur pour cette petite équipe qui a su remettre son vignoble à la lumière comme celle qui baigne l’admirable cloître de Fontfroide.

*Du latin indulgere : accorder

Dans le cloître de l’abbaye de Fontfroide, chef d’œuvre de l’art cistercien, la vigne fait partie du décor à motif végétal des chapiteaux Photo © François Collombet

Extrait de la règle de Saint Benoît

  • Chacun « a reçu de Dieu son don particulier : l’un celui-ci, l’autre celui-là »
  • Aussi avons-nous quelque scrupule à régler l’alimentation d’autrui.
  • Toutefois, ayant égard au tempérament des faibles, nous pensons qu’une « hémine* » de vin par jour suffit à chacun.
  • Ceux à qui Dieu donne la grâce de s’en abstenir ; sauront qu’ils recevront une grâce particulière.
  • Si la situation du lieu, ou le travail, ou l’ardeur de l’été demandent davantage, le supérieur en décider ; mais il veillera en tout à ce qu’on ne tombe ni dans la satiété ni dans l’ivresse.

*Ancienne mesure de volume romaine valant un demi-setier soit environ 0,27 litre.

François

  • 1990 – Les grands vins du monde, préfacé par Gérard Depardieu. 
  • 1992 – Grands et petits vins de France, préfacé par Jean Carmet.
  • 1996 – Le guide des grands et petits vins de France, préfacé par Alain Favereau.
  • 2000 – The Flammarion Guide to World Wines
  • 2013 – Les vignobles mythiques, aux éditions Belin préfacé par Pierre Lurton (Cheval Blanc et Yquem).
  • 2014 – Prix Amunategui-Curnonsky décerné par l’APCIG (association professionnelle des chroniqueurs de la gastronomie et du vin).
  • 2016 – Cépages & Vins aux éditions Dunod.
  • 2020 – Cépages & Vins, nouvelle édition, éditions Dunod.

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