Le gamay noir à jus blanc a une patrie, le Beaujolais et 2015 fut une année exceptionnelle : vendanges manuelles, grappes entières, de petites baies bien mûres (une maturité jamais vue en Beaujolais), une très belle qualité avec des peaux épaisses et fermes, beaucoup de concentration, beaucoup de sucre mais de petits rendements, un état sanitaire proche de la perfection, bref une année vraiment exceptionnelle ! Coté vin, un Beaujolais 2015 qui lui aussi est exceptionnel, du fruit, de la générosité, de la fraîcheur etc. Seul bémol, la sécheresse des premiers mois qui a entraîné une production en baisse de 20 %. Pour le Beaujolais Nouveau, les 28 millions de bouteilles de 2014 (dont 13 millions exportées dans 112 pays), le tiers de toute la production du vignoble du Beaujolais, n’ont pas été dépassées.
Ce gamay beaujolais
Partout dans le monde, l’image du gamay est associé à un vin rouge fruité, léger et gouleyants, agréables, à boire jeunes. Mais quand on parle de gamay, encore faut-il préciser ! Est-ce le gamay noir à jus blanc (le gamay beaujolais), le plus largement répandu ou bien le gamay rouge teinturier mais là encore la précision est de mise ? Il en existe 3 : le gamay de Bouze (Côte-d’Or), le gamay de Chaudenay (Saône-et-Loire) et le gamay Fréaux (Côte chalonnaise). Oublions le gamay Saint-Laurent ou gamay du pape qui se perd dans l’encépagement des vignes du sud-ouest pour revenir au dernier, le gamay blanc. Il n’est autre que le chardonnay dans le Jura ou le melon de Bourgogne dans la région de Lyon ou de la Haute-Marne.
La France, terre presque exclusive du gamay
Donc, le plus important, celui qui a fait connaître le beaujolais dans le monde entier, celui qu’on peut consommer en primeur dès novembre (le célèbre Beaujolais nouveau) est le gamay noir à jus blanc. Il est le 30e cépage le plus planté dans le monde. Sur les 37 000 ha de gamay répertoriés dans le monde, 34 000 ha sont en France, surtout présent dans le Beaujolais avec 23000 ha. On le décrit à petites grappes compactes, à grains moyens, d’un beau noir violet, avec une pruine abondante, à jus incolore, à saveur simple. C’est un cépage relativement vigoureux au rendement beaucoup plus élevé que celui du pinot noir. Il craint la pourriture grise. Sa taille est longue et traditionnellement en gobelet. Son épanouissement passe par une densité de plantation serrée. En Beaujolais, il offre la plus importante densité de plantation au monde, de 9 à 13 000 pieds de vigne par hectare.
Gamay, un petit village de la Côte de Beaune
Il porte le nom d’un village près de Puligny-Montrachet, en Bourgogne à 15 km au sud de Beaune près de Saint-Aubin*. Gamay est un hameau qui s’étire au pied de coteaux de vignes dominés par la Roche Dumay. Serait-ce ici le berceau du cépage gamay ? La tradition suggère que le « plant gamay » aurait été rapporté de Palestine par un seigneur local. Son origine est, il est vrai très locale puisqu’il est né de l’hybridation naturelle du Gouais, vieux cépage, très productif et très répandu au Moyen Âge mais disparu aujourd’hui et du pinot noir à l’origine de tous les grands bourgognes rouges. Le gamay fut appelé gamet, gaamez, gamé. Il fallut attendre le congrès ampélographique de Chalon-sur-Saône en 1896 pour s’arrêter sur sa graphie actuelle.
*L’appellation Saint-Aubin de 163 ha, surplombant Auxey-Duresses, Meursault, Puligny, Chassagne et Santenay consacre l’essentiel de sa production aux blancs (issus du chardonnay), les rouges (pinot noir) sont aujourd’hui devenus très minoritaires.
Le gaamez banni par ordonnance royale en 1459
Il est impossible aujourd’hui de certifier avec précision sa provenance. Fut-il implanté par les romains ou était il déjà présent dans le sud de la Bourgogne ? Incontestable en tout cas est le décret d’arrachage du gamay promulgué par Philippe le Hardi, duc de Bourgogne en 1305 et confirmé par Philippe le Bon en 1459 ! Un cépage qualifié sous ces termes : un tresmauvaiz et tresdeloyaul plant nommez Gaamez, duquel mauvais plant vient tresgrant habondance de vin et lequel vin de gaamez est de tel nature qu’il est moult nuysible à creature humaine (…). Cette ordonnance émise à Dijon ne fut que partiellement appliquée. Il a en effet été l’un des cépages les plus répandus et les plus cultivés du vignoble français jusqu’à la fin du XIXe siècle.
L’unique cépage rouge du Beaujolais
Depuis, il s’est retranché sur quelques bastions. Il est présent en Touraine, dans le sud-ouest, en Savoie, les Coteaux du Lyonnais, la Côte Roannaise, les Côtes du Forez jusqu’en Suisse (cantons du Valais, de Vaud et de Genève). Le Gamay est cultivé également en Espagne, au Portugal, Roumanie, Bulgarie et Australie. Mais sa région de prédilection est le Beaujolais où il occupe plus de 90 % du vignoble couvrant l’ensemble des appellations (dont les dix crus*). Sur des sols de schistes, de granit et de roches volcaniques du Beaujolais, il a atteint une réputation mondiale. Présent en Beaujolais depuis le début du XVIIe siècle, ce cépage a su accompagner les évolutions du vignoble et des traditions culturales collectives
* Brouilly, Chénas, Chiroubles, Côte de Brouilly, Fleurie, Juliénas, Morgon, Moulin à vent, Régnié, Saint-Amour.
Du raisin au vin en 3 semaines
Sans doute est-ce le seul cépage qui puisse faire un vin en trois semaines (le Beaujolais Nouveau). Encore faut-il qu’il soit bien fait ! Que les conditions climatiques aient été bonnes ; que le vigneron n’ait pas accéléré artificiellement la fermentation ; qu’il n’ai pas chaptalisé au-delà de ce qui est autorisé, et qu’il ne fasse pas passer pour naturel ce goût de banane, signature de la présence de résidu d’une fermentation secondaire mal menée ou pire, d’une manipulation chimique douteuse ! Pour faire le beaujolais, on procède à une vinification unique au monde. Elle se fait à partir de grappes entières pour extérioriser au maximum le potentiel aromatique. La vinification beaujolaise est en fait une macération semi-carbonique. C’est une technique qui consiste à laisser les grappes de raisin entières dans une cuve hermétiquement close et saturée en gaz carbonique avec un objectif : extraire, en 4 ou 5 jours, un maximum d’arômes fruités et un minimum de tannins, sous l’effet de la fermentation intra-cellulaire (à l’intérieur de la baie). Pour cette raison, les raisins doivent être ramassés en très bon état, ce qui interdit l’utilisation de la machine à vendanger. Le gamay offre alors des vins aux arômes typiques de bonbon anglais et de banane bien mure à la robe pourpre doté d’une bonne acidité. Ce sont des vins à la note minérale et poivrée, des vins qui ont de la mâche. Ils sont peu tanniques mais dotés d’arômes intenses de petits fruits rouges (cerise, fraise, framboise, groseille, myrtille, mûre) et de fleurs (pivoine, iris, jasmin).
Le gamay bien timide à l’international
Peu de pays on adopté le gamay. Il est cultivé en Espagne, au Portugal, en Roumanie, en Bulgarie et en Australie. Le Canada offre de bons gamays dans la péninsule du Niagara, l’appellation la plus importante de l’Ontario. Il est aussi présent dans l’Oregon. En Californie, ce qu’on appela Gamay Beaujolais se révéla être du pinot noir et le Napa Gamay, du Valdiguié, un cépage originaire du Quercy. Les premiers véritables plants de gamay sont arrivés en Californie en 1973. Donc patience !
Lors du dernier Concours International du gamay (2015), le Beaujolais a raflé 128 médailles dont 56 en or, 20 pour d’autres régions françaises (Loire, Rhône, sud-ouest) et 12 pour le reste du monde. Le titre Meilleurs gamay du monde a été attribué à une appellation Coteaux du Lyonnais 2014 (Antica vieilles vignes).