Le cinsault, ce vieux cépage d’origine provençale* à grain noir et à chair blanche n’a-t-il aujourd’hui pour planche de salut que le rosé. S’il a été massivement planté dans le midi de la France, en Algérie, au Maroc au Liban, en Afrique du Sud jusqu’au Chili grâce notamment à sa résistance à la chaleur et à ses forts rendements, il a surtout joué la médiocrité au point d’être vilipendé et arraché (comme le carignan d’ailleurs).
Aujourd’hui, belle surprise ! Il renaît mais sous une couleur bien plus pâle, celle du rosé. Il est devenu le cépage souvent majoritaire et incontournable des rosés de Provence, des Côtes-du-Rhône, du Languedoc-Roussillon, du Liban, de Californie… Devant lui, le monde s’incline. Les vins blancs baissent les bras. Ils viennent d’être dépassés par les rosés (30 % versus 20 % pour les blancs). Si la consommation du vin stagne, celle du rosé explose.
* Première mention du cinsault apparaît sous le nom de marroquin en 1600 sous la plume d’Olivier de Serres. Cinsault tel qu’on le connaît aujourd’hui date de 1880. Il s’agit vraisemblablement d’un dérivé de cinq-saou utilisé pour le désigner. L’analyse de son ADN le rapprocherait du piquepoul et de l’aspiran, vieux cépage du Languedoc dont le nom viendrait d’une localité du département de l’Hérault, près de Lodève.
Quand on boit du rosé, on boit du cinsault
La consommation de rosé connaît en France un véritable engouement. Le rosé est à la mode. La France en est le plus gros producteur mondial mais aussi le plus gros consommateur (35 % de la consommation mondiale). Son cœur de cible, les moins de 35 ans (les millennials, les 18-35 ans) sont près de 16 millions, soit la moitié des actifs. Aux USA, on compte 80 millions de jeunes adultes et là, les exportations de rosé français ont augmenté de 30 % en dix ans. Même en Chine, sa consommation a doublé dans le même lapse de temps, sachant que ces fameux millennials sont 364 millions. Alors, le cinsault a tout son avenir devant lui !
Des qualités inversement proportionnelles au rendement
A première vue, le cinsault a beaucoup de qualités. Il est résistant à la sécheresse, capable de tolérer des températures extrêmes. Il supporte bien le vent et la sécheresse. C’est en plus une variété plutôt robuste et largement résistante aux maladies (à l’exception des maladies du bois, l’esca notamment). Mais ses qualités sont inversement proportionnelles à son rendement. Sa productivité notamment dans les terrains riches de type limon de plaine est un lourd handicap pour sa qualité. Ses rendements peuvent atteindre jusqu’à 100 hl/ha pour des vins sans caractère. Entre 50 et 90 hl/ha, on obtient un vin peu alcoolique, peu acide et peu coloré qui fournit le gros des assemblages.
Pour qu’il donne le meilleur de lui
Si on veut le meilleur du cinsault, il pose ses conditions. C’est un cépage exigeant qui affectionne les coteaux, les sols pauvres, secs et plutôt schisteux à l’image du carignan. Il produit de gros raisins, d’un noir bleuté, à peau ferme, craquante très sucrés, à chair juteuse*, mais il est pauvre en tannins. Malheureusement il n’est que rarement vinifié seul. Pourtant, bien mené et bien vinifié, le cinsault donne un vin assez gras, fin, délicat, au fruité peu intense (framboise, fruits secs, fleurs blanches), titrant 12°. Enfin, il est rarement tannique. Pour cette raison, il est souvent associé notamment et selon la région, au carignan, au grenache, au mourvèdre ou à la syrah dans la plupart des appellations des Côtes du Rhône, de Provence, du Languedoc et du Roussillon. Mais sa couleur pâle et son goût éphémère le réservent surtout aux rosés. Ils leur apportent souplesse, finesse et fruité.
*Le cinsault peut être consommé en raisin de table sous la forme d’un cépage très proche génétiquement appelé oeillade. Une tradition viticole voulait qu’on plante quelques pieds de cinsault dans une vigne rien que pour le plaisir des vendangeurs.
La ronde des rosés les plus exceptionnels sous le signe du cinsault
Typiquement méditerranéen, le cinsault est le cépage de prédilection des rosés. Il donne des vins fruités, frais et peu tanniques. Dans les rosés de Provence (42 % de la production de vins rosés en France et 5 % au niveau mondial), le cinsault se place en tête des cépages, souvent assemblé au grenache noir, à la syrah, au rolle (vermentino), au mourvèdre ou au carignan. Pour beaucoup, c’est vin d’apéro au bord des piscines et pour les happy few, un grand vin de gastronomie. Certains rosés sont en effet exceptionnels (ils valent entre 7 et plus de 100 €) :
- Exquisite Collection Côtes de Provence (Domaine Ultimate Provence, ex-Château des Launes, à la Garde Freinet) à majorité cinsault obtenait en 2018, une médaille d’argent décernée par le prestigieux International Wine Challenge de Londres.
- Château du Galoupet (l’un des 18 crus classés de Provence) est situé à La Londe-les-Maures, en bordure maritime. Les 70 ha du domaine dont une bonne part en cinsault produit à 90 % des rosés (Château du Galoupet fut racheté en 2019 par Bernard Arnault patron du groupe LVMH).
- Voir également le Miraval, mythique rosé du Château Miraval à majorité cinsault (avec grenache, syrah et rolle). Il est vendu une centaine d’euros. Il est encore loin d’être le plus cher. Le domaine de 500 ha est la propriété du couple Brad Pitt et Angelina Jolie. Malgré leur séparation, ils restent associés. Mais c’est la famille Perrin, propriétaire du Château de Beaucastel à Châteauneuf-du-Pape qui s’occupe de la production des vins depuis 2011.
- Autre star des rosés touchés par la grâce du cinsault, le Whispering Angel de Sacha Lichine (Château d’Esclans près des Gorges de Pennafort, à 25 km de Fréjus). C’est le rosé le plus vendu aux Etats-Unis.
- On pourrait citer également, Château Minuty sur la Presqu’île de Saint-Tropez avec M Rosé, Prestige Rosé et quelques autres : Château Roubine entre Verdon et Méditerranée, Estérel et Sainte-Baume avec La Vie en rose (40 % cinsault). A Bandol, le Rosé du Domaine de l’Olivette (en appellation Bandol) dont les vignes dominent la Méditerranée.
Partout aujourd’hui on replante et on améliore. Pour preuve la toute dernière dénomination Côtes de Provence Notre-Dame des Anges est le 5e terroir reconnu. Enfin, en 6 ans, l’évolution de l’encépagement des Côtes de Provence a évolué. Ainsi, le grenache (33 % du vignoble), le cinsault (18 %), le vermentino (4,6 %) ont gagné entre 1 et 3 points entre 2011 et 2017. La syrah, le mourvedre et tibouren sont restés stable.
Le cinsault dans le monde
En Afrique du Sud, on l’appelle le pinot noir de la Méditerranée. Après la France (25 000 ha), c’est l’Afrique du Sud qui détient les plus grandes surfaces plantées en cinsault : 1900 ha ce qui en fait le dixième cépage du pays. On le trouve notamment à Paarl, Breedekloof et dans la zone de Malmesbury dans le Swartland. Il a été introduit en Afrique du Sud dans les années 1880. En 1909, le cinsault appelé hermitage était le cépage rouge, le plus planté. Il était alors utilisé à tout jusqu’à l’élaboration de brandy. Mais sa grande popularité, il la doit par le truchement d’un autre cépage, le pinotage né en 1925, d’un croisement entre le cinsault et pinot noir. Celui-ci représente aujourd’hui 6 % du vignoble sud-africain. Le pinotage (diminutif de pinot et hermitage) est devenu le vin emblématique de l’Afrique du Sud. Si certains vignerons l’appellent le pinot du pauvre, d’autres veulent croire que le cinsault, cépage précoce donnant des vins légers, très fruités et peu colorés aux arômes de fraise et de cerise (à boire frais sans attendre) peut être le beaujolais d’Afrique du Sud comme ce cinsault mono-cépage de Leeuwenkuil dans la région de Swartland. Même état d’esprit pour le chroniqueur et journaliste Paul Gregutt qui couvre l’industrie vinicole de l’État de Washington. Il aime dire que le cinsault peut faire un bon beaujolais en pensant à certains vignobles de Walla Walla (Morrison Lane et Minnick Vineyards) et de Horse Heaven Hills (Alder Ridge). En Italie, dans la région des Pouilles, il est connu sous le nom d’ottavianello et doit représenter au moins 85 % des assemblages rouges dans la DOC Ostuni. Au Maroc, le cinsaut est le premier cépage en termes de niveaux de production, et il est également très présent en Algérie et en Tunisie.
Au Liban, le cinsault cépage principal de la Békaa
Au Liban, le cinsault est le principal cépage rouge de la Békaa planté depuis 150 ans. Diana Salameh Khalil, oenologue depuis 2002 du domaine Wardy en a fait un rosé exceptionnel. Après l’anéantissement à 80 % du vignoble libanais par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle (la dernière attaque remonte à 1986), on replanta en privilégiant les cépages internationaux tels que l’ugni blanc et le cinsault. Il est aujourd’hui encore le deuxième cépage le plus planté au Liban (après l’obeideh cépage local) sur plus de 450 ha. Château Musar en a fait l’un de ses cépages favoris en l’assemblant au cabernet sauvignon et à la syrah.
Synonymes : cinsault, cinqsaut, cinq-saou, ottavianello, oeillade, black malvoisie, blue imperial, black prince, samso…