L’aligoté*, ce deuxième cépage blanc de Bourgogne, celui qui règne sur l’AOP Bouzeron (Côte chalonnaise) revient de loin. On connaissait ce très vieux cépage bourguignon pour le kir. Une recette immuable : 1/5 de crème de cassis, 4/5 de Bourgognealigoté, apéritif popularisé par le légendaire chanoine Kir, héros de la Résistance, homme politique (député-maire de Dijon) et accessoirement homme d’église ! Pourtant, derrière l’image d’un aligoté un peu figé se dégotte un surprenant cépage. Dans cette Bourgogne toute acquise au chardonnay et au pinot noir, comment l’aligoté a-t-il put refaire sa place et gommer son image de petit vin de comptoir, vin de soif qu’on boit le matin pour se « rafraîchir le gosier » ? D’ailleurs ne sert-il pas encore trop souvent, à l’instar de la Californie d’appoint au chardonnay pour renforcer (beef up en anglais américain), à hauteur de 25 %, son manque d’acidité. Serait-ce alors face au chardonnay ce qu’est le gamay au pinot noir (dixit J.-F. Bazin) ou ce que le sylvaner peut être au riesling (dixit Jancis Robinson) ? Pour sa défense, on devrait préciser qu’il fut souvent cantonné aux terroirs les plus médiocres.
*Attention à ne pas se méprendre, l’aligoté est le 10e cépage blanc le plus planté au monde (voir plus bas) dont 1971 ha en France.
Bouzeron, le paradis bourguignon de l’aligoté
Alors, comment en à peine 30 ans, l’aligoté a-t-il réussi à redevenir ce grand cépage reconnu pour donner des vins digestes, vivants, vins de gastronomie, aptes au vieillissement ? Une appellation a beaucoup fait pour bouger les lignes et les mentalités, l’AOC Bouzeron depuis 1998 (ex Bourgogne Aligoté-Bouzeron), située à la sortie de la Côte de Beaune. Aujourd’hui, ce paradis bourguignon de l’aligoté qui a pour voisins, Rully, Mercurey, Givry, Montagny est un petit vignoble de 55 ha taillé en guyot simple, dans le nord de la Côte Chalonnaise et jalonné de cadolles, ces cabanes , maçonnées ou en pierres sèches qui servent d’abri aux vignerons. L’aire de l’appellation occupe les deux versants de la vallée de la Dheune, entre 270 et 350 m, sur des sols minces composés de calcaires bruns et marneux. L’AOC est aujourd’hui travaillée par une poignée de vignerons (25), tous empreint de la mission de rendre à l’aligoté ses lettres de noblesse. On peut se référer par exemple au domaine Aubert et Pamela de Villaine* (secondé aujourd’hui par leur neveu, Pierre de Benoist), au domaine Chanzy et son Clos de la Fortune (en monopole) sous la houlette de Jean-Baptiste Jessiaume, 6e génération de vignerons, au domaine Paul et Marie Jacqueson ou celui de Nathalie Richez, de Briday Michel…
* Bouzeron est l’une des cinq appellations de la Côte Chalonnaise, celle qui est la plus proche de Côte-d’Or. En 1997 sous l’impulsion d’Aubert de Villaine, co-gérant du domaine de la Romanée Conti, et de son épouse Pamela, les vins de Bouzeron obtenaient leur propre AOC.
Deuxième cépage blanc après le chardonnay
L’aligoté est un très vieux cépage bourguignon. Il est le fruit d’un croisement entre le gouais blanc médiéval (disparu aujourd’hui) et le pinot noir, tout comme d’ailleurs le chardonnay. Sait-on qu’avant la crise du phylloxéra au XIXe siècle, l’aligoté faisait jeu égal avec le chardonnay dans les vignes de corton-charlemagne ou de montrachet ? Il étend aujourd’hui en France son aire de plantation de Chablis, dans l’Yonne, au Mâconnais jusqu’à atteindre les collines du Beaujolais. Il est tout simplement le 2e cépage blanc de Bourgogne (derrière le chardonnay) avec 1600 ha, soit 6 % de l’encépagement bourguignon. L’aligoté est un cépage assez vigoureux et rustique (peu attaqué par l’oïdium mais sensible au mildiou et à la pourriture grise) qui débourre tôt. Il porte des raisins plus gros et plus nombreux que ceux du chardonnay. On le reconnaît à ses petites grappes aux grains d’un blanc orangé moucheté de brun. Il est apprécié pour ses rendements. Partout, aujourd’hui, il est en pleine renaissance au point de couvrir en France un peu plus de 2000 ha.
Le Bourgogne-aligoté, première marche de sa réputation
La réputation de l’aligoté vient du Bourgogne-aligoté, appellation régionale de Bourgogne. Elle est réservée aux vins produits à l’intérieur de l’aire délimitée de l’appellation Bourgogne (dans les départements de l’Yonne, de la Côte-d’Or, de la Saône-et-Loire et du Rhône, dont le Beaujolais, mais cette présence est aujourd’hui contestée). L’aligoté a trouvé ses terres de prédilection sur les terroirs des Haute Côtes (de Nuits et de Beaune). Il a longtemps été vinifié comme vin de carafe à boire jeune, idéal pour le kir. Surnommé le muscadet de la Bourgogne, c’est un vin léger de couleur or, à forts reflets verts ; un vin un brin impertinent qui frappe par ses parfum frais et francs rappelant le raisin, la pomme verte et le citron, eux-mêmes combinés à des notes minérales. S’il est l’unique cépage autorisé de l’AOC Bouzeron, il entre aussi dans la composition des bourgognes-aligotés, des coteaux-bourguignons, des crémants-de-bourgogne. Mais ne nous trompons pas, l’aligoté sait aussi s’apprécier après quelques années de cave. Certains vignerons vont jusqu’à utiliser le fût de chêne pour son élevage.
L’aligoté doré de Bouzeron
À la limite de la Côte de Beaune, près de Santenay et tout près de Chassagne-Montrachet, Bouzeron, appellation Villages-de-la Côte chalonnaise (Saône-et-Loire) a cette particularité par rapport aux quatre autres de la Côte chalonnais (Givry, Montagny, Rully et Mercurey) de n’être reconnue que pour sa production d’aligoté. De plus, c’est la seule, parmi les quarante-quatre appellations villages-de-bourgogne, à autoriser l’élaboration d’un vin de Bourgogne exclusivement à base d’aligoté. Car à Bouzeron, l’aligoté n’est pas tout à fait le même qu’ailleurs. Il se distingue par sa peau qui prend au moment du mûrissement une teinte dorée sous l’effet du soleil, d’où son nom d’aligoté doré offrant un vin fruité et vif doté par son terroir de finesse et de rondeur.
Aligoté, qui t’a fait roi ?
Si la création en 1974 de l’AOC Bourgogne aligoté de Bouzeron fut à l’initiative de 3 viticulteurs (Chanzy, Chemorin et Cogny), l’homologation en nom propre, revient sans conteste à un couple, Aubert et Pamela de Villaine. La démarche de la reconnaissance de l’appellation Bouzeron (et donc de son unique cépage, l’aligoté) qui a abouti en 1997, se fit sous l’impulsion d’Aubert de Villaine, co-gérant du Domaine de la Romanée-Conti, et de son épouse Pamela. Ensemble, ils avaient créé à Bouzeron, en 1973, le domaine Aubert & Pamela de Villaine afin de redonner à ce cépage planté sur des sols situés entre 270 et 350 m d’altitude, maigres, bruns et marneux, à forte teneur en calcaire, la splendeur qu’il avait avant le phylloxéra. Leur objectif fut de retrouver le goût de l’aligoté lorsqu’il était traité à égalité avec le chardonnay et le pinot noir, celui d’un grand bourgogne blanc. Depuis 1997, le domaine qui a pour régisseur Pierre de Benoist, neveu d’Aubert de Villaine est certifié biologique. On y pratique des rendements ne dépassant pas les 55 hl/ha, la taille en gobelet palissé pour une meilleure régulation de la sève, des vendanges manuelles avec tri et vinification naturelle).
Domaine Chanzy : le Clos de la Fortune
Autre figure de proue de l’appellation, le domaine de Chanzy qui possède à lui seul presque la moitié des vignes de l’appellation Bouzeron dont le magnifique Clos de la Fortune (3,75 ha) seul Monopole de l’appellation. Quelques affectionados n’hésitent pas à évoquer ce clos comme la Romanée Conti du Bouzeron et certains voudraient le marier au caviar. Ses pinots noirs et ses chardonnays ont été arrachés au seul profit de la star locale, l’aligoté : nous voulons faire découvrir Bouzeron à travers ce Clos, entre autres. Il appartient comme Rully, Givry ou Mercurey à une appellation montante qui aura un rôle à jouer dans les prochaines années, en raison de son excellent rapport qualité/prix général en dit Jean-Baptiste Jessiaume directeur général délégué de Chanzy.
Chanzy devenu l’un des 10 plus gros producteurs de Bourgogne
Le Domaine Chanzy prenait en septembre 2017 une participation majoritaire dans le domaine Pagnotta (Mercurey, Rully, Santenay, Givry…) à Chagny devenant ainsi le premier producteur exploitant de la Côte Chalonnaise. Chanzy détient aujourd’hui 80 ha sous 52 appellations toutes prestigieuses (Chambertin, Vosne-Romanée, Bâtard-Montrachet…) avec une production annuelle estimée à 800 000 bouteilles. Il entre de facto dans le top 10 des plus gros producteurs de Bourgogne (sans compter hors Bourgogne, les 40 ha du château Signac dans le Gard, en Côtes du Rhône). Rappelons que le Domaine Chanzy, alors en redressement judiciaire fut en 2012 repris par le fonds d’investissement irlandais Olma à hauteur de 40 %. (Olma Fund est un fonds de Private Equity qui investit principalement dans des PME européennes du secteur du luxe : vins et spiritueux, hôtels, caviar, etc.) et contrôle aujourd’hui une douzaine de sociétés.
Qui est qui chez Chanzy
Rocco Pagnotta devient le directeur général de Chanzy, groupe présidé par Stéphane Petrossian, ancien avocat d’affaire, co-actionnaire de l’empire Petrossian (caviar), ayant à 37 ans choisit d’intégrer comme associé, le fond Olma Private Equity. Jean-Baptiste Jessiaume reste directeur général délégué du domaine Chanzy.
Quand l’aligoté se hisse en premier cru : Clos des Monts Luisants (Morey-Saint-Denis)
L’aligoté bien travaillé est un cépage surprenant. Il s’adapte très facilement à différents types de sols. Lorsque ses rendements sont contrôlés, il peut faire des merveilles. La preuve : un Morey-Saint-Denis Premier Cru du domaine Ponsot (Clos des Monts-Luisants) élaboré exclusivement avec de l’aligoté ! Soyons clair, le climat Monts Luisants en haut du versant de Morey-Saint-Denis couvre 11,32 ha entre 320 et 350 m d’altitude. Il est constitué de 3 parcelles :
- Village sur 2,19 ha (partie la plus élevée),
- Premier Cru sur 5,39 ha (en partie médiane),
- Grand Cru de la Roche sur 3,74 ha.
Le Clos des Monts Luisants se situe en haut de la partie Premier Cru. Elle couvre 2,5 h détenus depuis la fin du XIXe siècle par le domaine Ponsot. Seule, une portion d’1 ha est plantée en aligoté ; l’autre, la Cuvée des Alouettes est cultivée en pinot noir.
Le Clos des Monts Luisants, une ode à l’aligoté
Vouloir classer le Clos des Monts Luisants planté en aligoté ne fut pas une mince affaire. Cette démarche d’homologation fut entreprise par Laurent Ponsot dans les années 2000 et le droit à la plantation intégrale en aligoté fut confirmé par l’INAO en 2011. Il faut dire qu’avant la crise du phylloxera, l’aligoté colonisait déjà la partie haute de ce versant de la Côte. Comme partout, elle fut replantée en chardonnay à une exception près, le Clos des Monts Luisants que William Ponsot s’obstina à replanter en aligoté ; des ceps aujourd’hui centenaires qui aidèrent grandement dans la décision de l’INAO.
L’aligoté à travers le monde
L’aligoté est le 10e cépage blanc le plus planté au monde. La Bourgogne, avec 1 600 ha, ne représente qu’à peine 8 % de sa surface, évaluée à 20 000 ha. En Suisse, il est devenu une spécialité genevoise, mais on le cultive aussi dans le pays de Vaud et en Valais. Il est cultivé surtout dans l’est de l’Europe, tout particulièrement en Ukraine (2000 ha), en Roumanie (5000 ha) mais également en Moldavie, en Géorgie, en Azerbaïdjan et Kazakhstan. Sur le continent américain, il se rencontre dans les zones les plus fraîches : États de Washington (Yakima Valley) et de New York (Hamptons Long Island), en Californie (Santa Maria Valley et Mount Harlan) ainsi qu’au Canada (Niagara Peninsula et British Columbia). Partout, l’aligoté semble dans le monde de plus en plus apprécié, à la fois par les producteurs et par les consommateurs. Serait-ce enfin l’honneur retrouvé de ce grand cépage !
Ci contre, cet aligoté de l’Etat de Washington de la marque Shooting Star de Jed Steele, célèbre vinificateur de Californie est vinifié sous bois, bouteille vendue $12. Dans cet Etat tempéré, l’aligoté représente encore une surface peu importante face au riesling dominant.