Le Roi Chambertin ouvrirait-il, ici à Gevrey-Chambertin, le bal des Trois glorieuses avant Vougeot* Beaune et Meursault ; ce fameux long week-end de novembre où la Bourgogne organise les plus belles fêtes bachiques du monde ?
* Au château du Clos de Vougeot où se tient le samedi soir, la réunion du plus grand chapitre annuel de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin avec dîner de gala.
Le Roi Chambertin comme prélude
Cette fête du Roi Chambertin qui se déroule tous les ans, le jeudi précédent la vente des Hospices de Beaune (3e week-end de novembre) serait sur le point de devenir la quatrième Glorieuse (ou la première !) tel un avant-goût grâce à une exceptionnelle dégustation du Gevrey-Chambertin* ! A elles quatre, ces Glorieuses représentent le grand rendez-vous viti-vinicole de la Bourgogne avec la planète vin juste au moment où le sort du nouveau millésime se fixe. C’est en quelque sorte une valse endiablée, un week-end de folie débutant le jeudi à Gevrey-Chambertin pour s’achever le lundi suivant par la Paulée de Meursault sous les hospices du marketing et de la tradition. Elle se marque comme toute bonne valse en trois temps avec un prélude qui se joue à Gevrey-Chambertin.
*En 2016, il s’agissait du millésime 2015. Les Gevrey-Chambertin Villages et certains Premiers Crus étaient déjà mis en bouteille, les Grands Crus devant encore subir l’élevage sous bois.
Le Roi Chambertin, pas de vins en primeur mais des vins d’un an
Pendant très longtemps, le village de Gevrey-Chambertin élisait un roi de la fête, le premier vendredi de septembre. Cette manifestation fut stoppée en 2001 pour reprendre sous une forme plus professionnelle, celle du Roi Chambertin d’aujourd’hui.
Un petit rappel ! Les vignerons de Gevrey-Chambertin par son organisme de défense et de gestion (ODG) Village, Premiers Crus et Grands Crus ne présentent plus depuis 7 ans, de vins lors de dégustations en primeur. Cette décision symbolique a été prise non pour se mettre en marge du système, mais parce qu’ils estiment que le meilleur moment pour la dégustation d’un millésime se fait à l’issue des fermentations malolactiques et après un an d’élevage. Ce choix a été fait pour garantir plus de pertinence dans la définition de l’année et pour mieux défendre la qualité des vins.
Gevrey-Chambertin aux 9 grands crus et aux 26 premiers crus
Alors, allons-y plongeons, dans cette dégustation de rêve au cœur de ce village de la Côte de Nuits, adossé à la Combe Lavaux (la combe la plus montagneuse de la Côte de Nuits). Il abrite en vins rouges le plus prestigieux vignoble de Bourgogne dont la réputation a depuis longtemps fait le tour du monde. Gevrey-Chambertin produit à lui seul 9 des 33 grands crus bourguignons, record absolu ! Au nord, la plupart des 26 premiers crus de part et d’autre de la combe Lavaux (dont le célèbre Clos Saint-Jacques). Quant aux 9 grands crus, fleurons de l’appellation Gevrey-Chambertin, ils se concentrent à la sortie sud du village. Seule la route des Grands Crus qui mène à Morey-Saint-Denis les sépare *; des crus tous exposés au levant (sud-est et est).
* Ruchottes, Mazis, Clos de Bèze, Chambertin, Latricières et de l’autre coté, Chapelle, Griottes, Aux Charmes, Mazoyères.
Gevrey-Chambertin, l’âme de la Côte de Nuits
Le vignoble rassemble 490 ha sur deux communes de production : Gevrey-Chambertin et Brochon avec des vignes situées entre 280 et 380 m d’altitude. Les premiers crus occupent la partie haute de la côte sur des sols bruns calcaires peu épais. Puis l’appellation Village s’étend sur des sols bruns calciques et bruns calcaires. Les vignes bénéficient de marnes recouvertes d’éboulis et de limons rouges venus du plateau. Ces graviers offrent au vin élégance et finesse tandis que les marnes riches de coquillages fossiles et argileuses leur donnent du corps, de la fermeté.
Tout Gevrey-Chambertin est là
Pour le Roi Chambertin, presque tout Gevrey-Chambertin est là dans cet impressionnant caveau de l’Espace Chambertin, les Villages aux premières tables suivis par les Premiers Crus pour atteindre tout en haut, proche de l’estrade, les Grands Crus 2015. Un millésime exceptionnel qu’on dit à la hauteur du 2005 ! Pour cette dégustation de rêve, des journalistes venus du monde entier, des vignerons, des négociants, des sommeliers se pressent le long des tables pour goûter ce millésime 2015 qui offre déjà l’amorce de son immense potentiel.
L’émergence d’un très grand millésime, le 2015
Pour en quelque sorte cadrer cette dégustation, il fallait la parole d’un expert, Jacky Rigaux*. Il habite Gevrey-Chambertin. C’est sans doute aujourd’hui l’un des plus grands connaisseurs des vins et du vignoble Bourguignon : les vendanges ont commencé à la fin du mois d’août dans le sud de la Côte avec un dernier coup de sécateur en Chambertin le 21 septembre 2015. Goûtés le 20 septembre sur pied, les raisins de la dernière parcelle à récolter en Chambertin étaient savoureux. Aucune trace de pourriture à déplorer, de belles grappes aérées, avec beaucoup de millerandage …. Vendanges étalées sur un mois donc dans les Côtes Bourguignonnes, mais raisins en parfait état sanitaire ! « II n y avait pas grand-chose à faire sur la table de tri, les peaux étaient mûres, les pépins également. Quand on voit un raisin si parfait et homogène, on aimerait cependant qu’il y en ait plus ! » pouvait affirmer un vigneron du cru radieux. Quantité inférieure à la moyenne due à la sécheresse de l’été, débutée en juin et qui se prolongea jusqu’aux pluies de la mi-août, arrivées un peu tard. Si l’eau était tombée avant la véraison, il y aurait eu plus de récolte. Excellents degrés potentiels, beaux équilibres avec des PH allant de 3, 12 à 3, 23. En vignobles septentrionaux, la vigne a besoin d’une année plutôt chaude, plutôt sèche et très ensoleillée. C’est ce qui s’est produit pour le millésime 2015. De la couleur, des parfums complexes associant épices, fruits et évocations florales. Très salivants, les vins ont une grande consistance associée à une belle souplesse, une vivacité remarquable qui fait vibrer la texture, de la longueur et une grande persistance aromatique. Les vins révèlent leur élégance dès leur jeunesse, mais ils sont promis à un grand avenir qui leur permettra de dérouler une texture de velours.
*Jacky Rigaux, ingénieur de formation et de recherche à l’Université de Bourgogne, ami d’Aubert de Villaine (La Romanée-Conti) et de feu Henri Jayer (le grand vigneron de Vosne-Romanée) est un défenseur acharné des terroirs et un grand promoteur de la dégustation géo-sensorielle (dégustation conjuguant le goût et la connaissance du terroir).
Le dîner du Roi Chambertin autour du 2005
Le dîner (proposé par le chef Gan Chern Hwei du Castel de Très Girard) qui clôturait cette dégustation se fit sous l’égide du légendaire 2005 : le doute ne subsiste que sur une seule question : 2015 sera-t-il grand ou résolument exceptionnel ? Pour Philippe Rossignol, Bruno Clair et tous ceux qui nous servirent leurs vins ce soir là, le doute n’est pas permis. C’est un millésime exceptionnel, un millésime pas encore ouvert, un vin fait pour la génération suivante, un vin inoxydable même ouvert après une semaine. No comment !