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Henry Marionnet (domaine de la Charmoise en Sologne). Portrait d’un charmeur de cépages

Très peu nombreux sont les vignerons qui comme Henry Marionnet eurent le talent de penser le vin différemment. Dans ce coin de Sologne si peu vineux, voici qu’il a élaboré depuis quatre décennies quelques belles cuvées d’anthologie comme Provignage, La Pucelle de Romorantin, “M” de Marionnet, Vinifera, Cépages oubliés… Gamay, sauvignon, romorantin, côt, gamay de Bouze, non, aucun cépage n’a semblé lui résister. Il sut les comprendre, les amadouer, les dompter, les faire aimer. Oui, décidément cet homme est un charmeur de cépages !

Henry Marionnet au dessus de La Chamoise, en bordure de ses vignes de sauvignon et gamay (Photo FC)
Henry Marionnet au dessus de La Charmoise, au milieu de ses vignes de sauvignon et de gamay. Photo © François Collombet

Pionnier de la vigne franche

Alors qu’il vient d’engranger sa 49e vendange et qu’il a passé la main à son fils Jean-Sébastien, Henry Marionnet est toujours là, témoin d’un combat qu’il porta dès ses débuts, celui de la vigne franche de pied (non greffée). Il permit à ses contemporains de redécouvrir un trésor oublié, l’authentique vin d’une vigne non greffée. Retrouver en quelque sorte le vrai goût du vin avant le phylloxera ! Depuis plus de quarante ans, dans son domaine de la Charmoise à Soings en Sologne, non loin de Cour-Cheverny et du château de Chambord, il a observé, cherché, planté, récolté, vinifié. Un très long travail de patience dans le respect de l’intégrité naturelle de ses vignes qu’il sut accompagner en les laissant s’exprimer plutôt qu’en ayant recours à des artifices, chimiques ou autres.

La famille Marionnet, Henry, sa femme et leur fils, Jean-Sébastien, venus en voisin solognot (Domaine de la Charmoise) pour l’inauguration du chai de Chambord. En juin 2015, Henry Marionnet fournissait les premiers plants de vigne : 4 ha de romorantin dont les ceps sont issus par bouturage d’une vigne pré-phylloxérique et donc franc de pied, c’est-à-dire non greffée. Henry et Jean-Sébastien continueront de superviser les vinifications à Chambord. Photo © François Collombet

A cépage franc de pied, vin différent

Petit retour en arrière ! Lorsqu’à la fin du XIXe siècle le phylloxéra détruisit l’ensemble du vignoble français, il fallut replanter sur des porte-greffes venus d’Amérique, immunisés contre le terrible parasite. En gros, depuis, chaque vin français est en quelque sorte sous influence américaine. Une question se pose : ces porte-greffes modifient-t-ils la véritable authenticité des vins ? Sans doute existe-t-il des sols, des environnements ou même des microclimats où le parasite ne viendrait ou ne pourrait survivre. On a commencé depuis une vingtaine d’années, et plus particulièrement en Touraine, à replanter des cépages francs de pied (non greffés). L’expérience a été tentée avec succès à Chinon chez Charles Joguet (Clos de la Dioterie) avec du cabernet franc non greffé. Mais le véritable pionnier dans cette région est sans conteste Henry Marionnet, qui tenta l’expérience avec son cépage principal, le gamay, en 1992. Résultat, un vin différent, un vin plus ample, plus dense, plus mordant doté d’arômes plus puissants de cerise et de fruits frais. Aujourd’hui, après le cabernet franc et le gamay, c’est au tour du sauvignon et du côt (malbec) de vivre leur vie libre … Loin de toute dépendance américaine.

Henry Marionnet quelques unes de ses cuvées dégustées chez lui à la Charmoise en Sologne (Photo FC)
Henry Marionnet et quelques unes de ses cuvées dégustées chez lui à la Charmoise en Sologne. Photo © François Collombet

Il apprend le métier en autodidacte

Au départ, le jeune Henry Marionnet part avec quelques atouts. D’abord le vignoble, la Charmoise qu’il hérite de son père en 1969. Mais quel vignoble ! Il est planté essentiellement d’hybrides (encore autorisés) qu’il fallut arracher alors qu’il apprend le métier, en autodidacte, livres en main. La famille Marionnet était arrivée à Soings, au milieu du siècle dernier. En 10 ans, entre 1967 et 1978, le vignoble à l’abandon sera entièrement replanté et agrandi. Mais que faire sur cette terre ingrate et sableuse de la Sologne (partie orientale de la Touraine) à 30 km au sud de Blois, au point le plus élevé entre la Loire au nord, et le Cher au sud ? Sur le chemin empierré qui traverse ses vignes juste au-dessus de chez lui, Henry aime s’arrêter là : voyez ici on était en bordure de mer. Le sol est de type perruches, constitué d’argile à silex avec plus ou moins de silice et de graviers : tout ça c’est bon pour la vigne précise-t-il. Autre avantage, grâce à sa position, la plus à l’est de la Touraine, le domaine bénéficie d’un climat plus continental et donc propice au gamay comme au sauvignon. Enfin, un microclimat favorable assure à la fois une excellente maturité et une bonne protection face aux gelées printanières. Le domaine est aujourd’hui en très grande majorité planté de gamay noir à jus blanc (33 ha) et de sauvignon (20 ha).

Chez Henry Marionnet, domaine de la Charmoise,à 30 km au sud de Blois, au point le plus élevé entre la Loire au nord, et le Cher au sud (Photo FC)
Chez Henry Marionnet, domaine de la Charmoise, à 30 km au sud de Blois, au point le plus élevé entre la Loire au nord, et le Cher au sud. Photo © François Collombet

« Pour vous désaouler, buvez du Marionnet »

Serait-il si loin le temps où Henry livrait lui-même chaque samedi 600 bouteilles de son gamay et de son sauvignon au Petit Zinc, une brasserie rue de Buci à Paris 6e. Mais quelle satisfaction quand dans les années 1980, le Quotidien de Paris (lancé par Philippe Tesson) le mettait à la « une » titrant : Pour vous désaouler, buvez du Marionnet*, un remède que n’a cessé de s’appliquer à lui-même. En abuserait-il ? Il suffit de le regarder. Sa très grande forme prouve à tous l’efficacité de son gamay.

*Si au lendemain du réveillon, vous vous réveillez avec une bonne gueule de bois, suivez les conseils d’Henry Marionnet. Placez une bouteille de son gamay au réfrigérateur et servez-vous de larges rasades bien fraîches. Frais, fruité, léger, sans chaptalisation, ni collage, ni filtrage, c’est sans doute le seul vin naturel que l’on puisse conseiller après une cuite au Chambertin.

Henry Marionnet chez lui, il reçoit ses invités comme des amis (Photo FC)
Henry Marionnet chez lui, il reçoit ses invités comme des amis. Photo © François Collombet

Un vigneron génial et atypique

La Charmoise fait aujourd’hui figure de modèle avec sa cave entièrement équipée en cuves inox. Les vinifications réalisées au domaine sont toutes spéciales et différentes des méthodes classiques ce qui confère aux vins (environ un demi-million de bouteilles par an) des qualités et des propriétés tout à fait originales. Il faut savoir qu’ici, la plus grande partie de la cueillette se fait à la main, en petits paniers. La vinification peut être différente chaque année en fonction du millésime, de la maturité et du niveau d’acidité des raisins. Précision importante ! Le sauvignon d’Henry Marionnet est souvent élaboré à partir d’une macération pelliculaire. De même, la vinification malolactique n’est jamais réalisée pour conserver au vin toute son acidité. Après donc une légère filtration nécessaire pour le clarifier, ce sauvignon de Touraine repose tranquillement en cuves inox jusqu’à sa mise en bouteilles l’année suivante. Cette vinification le dote d’une palette d’arômes beaucoup plus large : un nez délicatement fumé et fruité, où l’on ressent le citron, l’ananas, le pamplemousse, et un peu le cassis, mais surtout sans aucune nuance végétale, défaut caractéristique de ce cépage.

Henry Marionnet aurait-il la plus vieille vigne de France ?

Henry Marionnet n’aura de cesse toute sa vie que d’inventer : la plantation sur film plastique ; la fermentation intracellulaire sous CO2 pour éviter l’ajout de levures et de soufre… Et puis la chance fut également de la partie ! On lui proposa près de chez lui une parcelle de vigne pré-phylloxérique. Ce sera le début d’une belle histoire qu’il aime raconter au milieu de ces ceps noueux tellement vifs qu’ils paraissent éternels. Début 1999, un vigneron habitant près de chez lui désirant prendre sa retraite lui propose sa vigne dont une parcelle très ancienne de 0,36 ha de romorantin qui, d’après la tradition orale, aurait été plantée en 1850. Des experts dont Denis Boubals, célèbre ampélographe envoyé par l’Onivins (Office national interprofessionnel des vins) confirment le grand âge de cette vigne, qui n’a donc pas été greffée puisque le phylloxéra n’est apparu en France qu’à partir de 1870. Oui, affirme Henry avec une pointe de fierté, je pense posséder aujourd’hui avec cette parcelle, la plus vieille vigne de France ; une vigne qui demande un soin tout particulier pour la taille mais qui étonne encore par sa vigueur. Pour les pieds malades ou morts (maladie du bois), on pratique le provignage (ou marcottage), technique qui avant le phylloxéra, était la méthode utilisée pour multiplier la vigne et remplacer les pieds défectueux. Et ce nom est tellement approprié pour une vigne hors d’âge (certains prétendent qu’elle fut plantée vers 1800) qu’on l’appellera tout naturellement Provignage. Elle se verra épaulée d’une voisine, une « jeunette » de 15 ans aujourd’hui plantée franc de pied par Henry avec un nom qui lui sied si bien : La pucelle de Romorantin.

Henry Marionnet dans sa parcelle de romorantin, Provignage, plantée vers 1850. Sans doute la plus vieille vigne de France. Photo © François Collombet

Les vins d’Henry Marionnet

Voici 2 des cuvées du patron dont cette Première Vendange 2017 : un gamay dans sa pureté la plus totale (photo FC)
Voici 2 des cuvées du patron à peine retraité dont cette Première Vendange 2017 : un gamay dans sa pureté la plus totale. Photo © François Collombet

I/Provignage et La pucelle de Romorantin, les deux cuvées de romorantin d’Henry Marionnet

Ces deux parcelles sont plantées en romorantin (cépage exclusif de l’appellation voisine Cour-Cheverny) qu’on retrouve aujourd’hui dans le parc du château de Chambord. Le Provignage est un vin très minéral, aux arômes de fruit à chair blanche, de noisette, de miel et de fleur blanche. C’est ce vin très rare, à nul autre pareil qui fut servi à la reine Elisabeth II lors d’un dîner officiel à l’Elysée en 2004. Le Provignage ne sera pas longtemps seul. Il aura à ses côtés La Pucelle de Romorantin réalisée avec des plants issus de la vigne restée vierge de la parcelle de Provignage, car non-greffée. Elle est franche de pied, donc vierge aussi de tout porte-greffe américain. La pucelle de Romorantin d’Henry Marionnet est un vin différent de ceux de la région, minéral, il possède une palette très complexe de fruits à chair blanche, avec un peu de noisette, de miel et de fleurs blanches comme le chèvrefeuille.

Sur sa célèbre parcelle de romorantin plantée vers 1850, on pratique le provignage (ou marcottage), technique qui avant le phylloxéra, était la méthode utilisée pour multiplier la vigne et remplacer les pieds défectueux (Photo FC
Sur sa célèbre parcelle de romorantin plantée vers 1850, on pratique le provignage (ou marcottage), technique qui avant le phylloxéra, était la méthode utilisée pour multiplier la vigne et remplacer les pieds défectueux. Photo © François Collombet

II/Première Vendange : un gamay dans sa pureté la plus totale 

A l’extrême opposé, la cuvée Premières vendanges, est quant à elle, le fruit de vignes encore toutes jeunes, un vin élaboré à partir du gamay sans aucun apport de produit œnologique ni chaptalisation. C’est un vin hors norme, vinifié, élevé et mis en bouteilles dans des conditions complètement naturelles ; un vin de gamay dans sa pureté la plus totale.

Chez Henry Marionnet, le gamay est dans son ADN (Photo FC)
Chez Henry Marionnet, le gamay est surement dans son ADN. Photo © François Collombet

III/“M” de Marionnet : meilleur sauvignon du monde 

Grâce à cette cuvée, Henry Marionnet va connaître la notoriété : j’avais repéré une vigne de sauvignon qui me donnais toujours de grandes émotions. Grâce à de petits rendements et une cueillette tardive, j’obtins des raisins tout à fait fabuleux. Ils le furent au point que le vin qu’il en tira fut sacré Meilleur Sauvignon du Monde aux Olympiades organisées par Jacques Dupont et Pierre Crisole (Gault & Millau). C’était le millésime 89. De ce “M” de Marionnet, Henry dira : c’est la cuvée qui m’a donné la plus grande émotion de ma vie ! Elle provient de la plus belle parcelle de sauvignon du domaine, mais n’est pas réalisable tous les ans. Le raisin à sa cueillette doit avoir en effet une maturité de 14° minimum. C’est un vin immense, riche, onctueux, avec une palette d’arômes impressionnants.

IV/Les Vinifera : ces cépages non greffés 

Pour cette cuvée d’exception, Henry partait d’un hectare de gamay non greffé prenant le risque du phylloxera toujours présent. C’était une parcelle qui donnait un vin gras, très long en bouche avec précise-t-il une complexité et un équilibre dignes des plus grands crus. Ce risque, il saura l’étendre en plantant en 2000, quatre nouveaux hectares de sauvignon, de côt et de gamay.

Une production rarissime

Les Vinifera sont des cuvées issues de vignes exceptionnelles plantées franches de pied (non greffées). Il s’agit d’une production tout à fait rarissime qui permet de retrouver l’expression réelle des vins et découvrir ce que buvaient les gens avant l’arrivée du phylloxéra qui détruisit pratiquement tout le vignoble mondial, entre 1864 et 1900. A leur dégustation, on découvre avec étonnement qu’ils sont complètement différents des mêmes vins produits à partir des cépages greffés. Ils ont une classe et une élégance supérieures et surprennent par le charme et la complexité inédite de leurs arômes et par leur couleur pour les Rouges. Les Blancs existent en deux variétés : sauvignon et chenin et les Rouges, avec le gamay et le côt.

V/Les cépages oubliés : une intensité incroyable !

Henry Marionnet lancera une cuvée à partir d’une vigne plantée en gamay de Bouze, vieux cépage d’origine bourguignonne aujourd’hui quasiment disparu ; une variété à jus rouge qui donne un vin rustique mais à la couleur et à la profondeur impressionnante. Une intensité incroyable par sa mâche et son fruit, avec une couleur pratiquement noire, spectaculaire ! précise-t-il.

Henry Marionnet sans doute fier de son gamay de Bouze, ce cépage teinturier qu'il doit être l'un des seuls à avoir planté en Val de Loire (Photo FC)
Henry Marionnet a toutes raisons d’être fier de son gamay de Bouze, ce cépage teinturier qu’il doit être l’un des seuls à avoir planté en Val de Loire. Photo © François Collombet
Cépages oubliés 2017, un gamay de Bouze Une intensité incroyable par sa mâche et son fruit, avec une couleur pratiquement noire, spectaculaire (Photo FC)
Cuvée Les Cépages Oubliés 2017 : un gamay de Bouze d’une intensité incroyable par sa mâche et son fruit, avec une couleur pratiquement noire, spectaculaire ! Photo © François Collombet

La relève assurée par Jean-Sébastien Marionnet

Tous ces vins sont maintenant sur la carte des plus grandes tables du monde. Son fils Jean-Sébastien Marionnet a pris la relève. Alors, resterait-il à cet homme passionné, à ce charmeur de cépages*, à celui qui fut honoré par l’Académie internationale du vin, du beau titre de vigneron oui mais de vigneron le plus iconoclaste du monde !

*aux éditions Féret

Henry Marionnet, le voici tout en haut le pied sur cette borne géodésique qui marque le point le plus haut de cette région (Photo FC)
Henry Marionnet, tout en haut, le pied sur la borne géodésique qui marque le point le plus élevé. Photo © François Collombet

François

  • 1990 – Les grands vins du monde, préfacé par Gérard Depardieu. 
  • 1992 – Grands et petits vins de France, préfacé par Jean Carmet.
  • 1996 – Le guide des grands et petits vins de France, préfacé par Alain Favereau.
  • 2000 – The Flammarion Guide to World Wines
  • 2013 – Les vignobles mythiques, aux éditions Belin préfacé par Pierre Lurton (Cheval Blanc et Yquem).
  • 2014 – Prix Amunategui-Curnonsky décerné par l’APCIG (association professionnelle des chroniqueurs de la gastronomie et du vin).
  • 2016 – Cépages & Vins aux éditions Dunod.
  • 2020 – Cépages & Vins, nouvelle édition, éditions Dunod.

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